C’est une personnalité du landerneau politique français aux États-Unis. Sylvain Bruni fut le directeur de campagne de la première députée des Français d’Amérique du Nord, la socialiste Corinne Narassiguin, puis conseiller consulaire à Boston.
Aujourd’hui, ce Franco-Américain de 42 ans se fixe un nouveau défi – et non des moindres : devenir député démocrate au sein de la Chambre des Représentants du Tennessee, l’État solidement républicain où il est installé depuis six ans avec son mari. Sans opposant aux primaires du 1er août, il participera, sauf surprise, au scrutin général du mardi 5 novembre face à la sortante Rebecca Alexander. « Je prends cela comme un challenge, quelque chose qui peut me permettre de faire une différence positive autour de moi, explique-t-il. À la base, je suis ingénieur. Mon but dans la vie, c’est de résoudre les problèmes des autres. »
À l’origine de sa décision, un « concours de circonstances ». Son ambition, c’était plutôt de se présenter tranquillement à la commission du comté de Washington, son lieu de résidence dans l’est du Volunteer State, dans deux ans. « C’était simple, plus local. D’autant que mon engagement politique et les activités professionnelles me prennent du temps ! » . En tant que chef du Parti démocrate du comté, c’est à lui que revient la mission de recruter les candidats de la gauche aux élections locales de novembre prochain, notamment pour la Chambre des Représentants. En passant des coups de fil à la recherche de la perle rare dans la circonscription, qui comprend sa ville de Johnson City et son agglomération, il se rend rapidement compte que la tâche ne sera pas facile. « J’ai contacté 48 personnes. J’ai échoué misérablement. Mais au fil des conservations, j’ai entendu le même refrain: ‘pourquoi pas toi ?’. Cela m’a fait réfléchir au fait que j’étais peut-être le mieux placé ».
Certes, c’est la première fois qu’il frappe aux portes d’une assemblée américaine, mais l’engagement politique n’est pas une nouveauté pour lui. À l’université à Rennes, il faisait déjà partie de l’organe représentant les étudiants. Au prestigieux MIT (Massachusetts Institute of Technology), sa première expérience aux États-Unis, il s’implique aussi dans le gouvernement estudiantin, allant jusqu’à prendre sa présidence. Comme il ne voulait pas perdre son lien avec la France, il rejoint la section du Parti socialiste à Boston. « J’ai mis le doigt dans l’engrenage ». Là, il s’implique dans différentes causes : cerveau de la campagne de longue haleine de Corinne Narassiguin pour l’Assemblée nationale en 2012 (son élection a été invalidée l’année d’après); volontaire pour la sénatrice du Massachusetts Elizabeth Warren, organisateur de la Boston Pride, la grande marche des fiertés LGBT locale; élection comme conseiller consulaire de Nouvelle-Angleterre, sorte d’élu municipal qui travaille aux côtés du consulat sur des sujets liés à la communauté française…
Il a poursuivi son engagement en arrivant à Johnson City en 2018, pour suivre son époux, et gravi les échelons du Parti démocrate du comté. « Par rapport à Boston, on est sur une autre planète politique sur les questions d’éducation, de droits des femmes et de la communauté LGBT, des armes, de l’accès à la nourriture de qualité… Ça fait un choc, dit-il. En même temps, cela me pousse à avoir plus d’empathie, à essayer de comprendre pourquoi les gens pensent comme ils pensent et de tenter de trouver des terrains d’entente. C’est ce qui guide mon approche de la politique au niveau local », reprend-t-il.
La campagne qui s’annonce n’aura rien d’une élection au conseil consulaire. Les démocrates n’ont que 24 sièges sur 99 à la Chambre des Représentants. Et la dernière fois que la gauche a présenté un candidat dans sa circonscription, en 2018, celui-ci a été battu du 33 points. Malgré tout, Sylvain Bruni croit en ses chances. Il table sur « plusieurs signaux » qui montrent selon lui l’exaspération des républicains modérés face à « l’extrémisme » de leur propre parti à Nashville. Les parlementaires ont récemment adopté une loi autorisant l’armement de certains enseignants, malgré les appels à davantage de restrictions à la suite de la fusillade à la Covenant School de Nashville en 2023. Fin janvier, une sénatrice du Grand Old Party (GOP) a ressorti des cartons une proposition de loi qui donnerait à l’État la possibilité d’annuler tout acte fédéral jugé contraire à la Constitution du Tennessee – un doigt d’honneur à près de 250 ans de fédéralisme américain. « Un membre républicain de mon groupe de coureurs m’a dit qu’il voterait pour moi parce qu’il en a marre de tout ce ‹ MAGA sh*t › », sourit Sylvain Bruni.
Dans le même temps, la base progressiste se réveille, comme l’ont montré les manifestations autour de l’exclusion des « Tennessee Three », ces trois députés démocrates bannis par leurs collègues au moment des débats de l’an dernier sur les armes à feu, ainsi que la décision historique, fin avril, des ouvriers d’une usine Volkswagen à Chattanooga de former un syndicat.
Pour sa campagne, Sylvain Bruni ne veut pas se « mettre la pression ». « On part de loin, admet-il. Notre objectif, c’est de mettre les sortants face à leur bilan. En privé, ce sont des gens normaux et simples, mais à l’assemblée, ils votent pour des lois complètement délirantes. Surtout, nous voulons faire une campagne dont nous serons fiers sur le plan intellectuel, politique et éthique. Nous n’avons vraiment rien à perdre ».