Pour sa première édition de la Nuit des Idées, la ville de San Francisco a mis les petits plats dans les grands. Une affiche prometteuse autour de “La ville du futur”, un lieu hors du commun, un staff au point… Succès garanti. L’événement s’est tenu, samedi 2 février, dans la Public Library, rue Larkin, où près de 12.000 personnes étaient attendues pour partager et changer le monde de demain. French Morning faisait partie de ces rêveurs qui sont restés éveillés le temps d’une soirée.
7:05pm : Ouverture des portes et lancement de la Nuit des Idées
Si London Breed, maire de San Francisco, brille par son absence, la foule n’en perd pas pour autant son enthousiasme. Michael Lambert, directeur des bibliothèques de la ville, accueille tout le monde par un “Bienvenue à la bibliothèque municipale de San Francisco”, en français dans le texte, proclame le 2 février “Jour officiel de la Nuit des Idées” et remet le décret a Emmanuel Lebrun-Damiens, consul de France à San Francisco.
Celui-ci est bientôt rejoint sur scène par Mary Wardell Ghirarduzzi, présidente de la commission de la SF Library, Neal Benezra, directeur du SFMOMA, Holly Kernan, rédactrice en chef de KQED, et Mina Kim, de KQED. Tour à tour, ils expliquent l’importance de cet événement dans un contexte politique et démocratiquement difficile. Emmanuel Lebrun Damiens souligne qu’”à l’heure de la montée des populismes et des réponses simplistes apportées à des questions complexes, les avis d’experts sur les grands sujets d’aujourd’hui sont essentiels.”
8:17pm : Quel genre de ville devrait être San Francisco en 2030 ?
Première conférence, mais aussi fermeture officielle des portes pour raison de sécurité. Tant pis pour les retardataires. Pour nous, ce sera le talk sur l’immobilier à San Francisco en 2030. Randy Shaw, de la Tenderloin Housing Clinic, et Gary Kamiya, auteur, s’accordent à dire que la crise immobilière ne pourra prendre fin dans la Bay Area que grâce à une aide fédérale visant la classe moyenne, mais aussi un soutien de la part des companies de la tech qui devraient fournir des logements à leurs employés, et de meilleurs transports en commun.
8:25pm: Resilient city avec KQED: on repassera
La queue fait plus d’un étage: tout le monde veut écouter Michael Krasny faire son émission Forum en direct depuis le sous-sol de la bibliothèque. L’enregistrement durera deux heures, on repassera plus tard.
8:29pm : Teen City, de la poésie et des idées pour la ville de demain
Direction le Mix, un espace dédié aux ados au deuxième étage pour entendre les jeunes de Youth Speaks slammer et déclamer leurs poèmes sur la ville. Le ton est rageur ou plein d’espoir, mais toujours juste. Puis les gagnants du concours Start’Up Lycée organisé par le Lycée Français de San Francisco présentent leurs projets pour améliorer la ville de demain: on y parle sécurité, recyclage et désastres naturels, avec différentes inventions pensées par des lycéens pour répondre à ces challenges du quotidien. Pas de paroles dans le vent, ils nous montrent des solutions concrètes, qu’ils sont prêts à produire demain s’ils le peuvent. Inspirés et inspirants!
9pm : Queer City
C’était l’une des conférences les plus attendues de la soirée et il faut dire qu’elle en valait la peine. Au micro, Aria Sa’id, femme transexuelle noire, partage son quotidien de “marginale” dans la ville de San Francisco. Parfois rejetée, isolée, réduite à la rue, elle ne pourrait rêver d’une autre ville où vivre car San Francisco, c’est aussi la ville de l’acceptation et de la protection pour ceux qui sont différents.
9:20pm: Jaron Lanier joue du khaen et prône un “capitalisme honnête”
Des dreadlocks blondes jusqu’aux fesses, une drôle de flûte a la main, Jaron Lanier fascine et interpelle son auditoire: figure bien connue de la Silicon Valley, à la fois musicien et informaticien, il est considéré comme le père de la réalité virtuelle. Lancé dans un long monologue sur les dérives de la technologie, il proclame que “Google et Facebook contrôlent le cerveau de tout le monde”, et que le niveau de “bullshit” ne fait qu’augmenter. Il prône l’arrêt du partage gratuit d’informations sur Internet: “Vous payez bien pour Netflix, pourquoi pas pour votre moteur de recherche ou vos réseaux sociaux? Vos données seront bien plus en sécurité”. Il marque un point, on va y réfléchir.
9:50 pm: Film City et la programmation éclectique des cinémas de la Bay Area
On a joué des coudes pour parvenir jusqu’au deuxième étage. C’est la fin de “Bionic City”, on y parle de l’avenir des voitures autonomes, et on ne peut en capter que quelques bribes, coincé dans le rayon Q-T des mangas. Pour Film City, pas de quartier, on fonce pour obtenir une place, et entendre parler d’un cinéma qu’on ne connaît pas forcément, comme les films du Chinois Jian Zhangke, ou le cinéma expérimental de Nathaniel Dorsky. Le programme de la Cinematheque de San Francisco est particulièrement intriguant. On va peut-être laisser Netflix de côté et mieux découvrir ce que les salles obscures de San Francisco ont à offrir.
10pm : Working City, 23 étages et quelque 3.600 pas dans la bibliothèque
La fatigue commence à se faire sentir. Le monde n’aide certainement pas. Malgré l’énergie des speakers, on ne retiendra qu’une chose: “le travail dans la Bay Area, ça ne se réduit pas qu’à un seul job et ça, malgré le nombre de milliardaires au m2.”
10:50pm : JR, à des années-lumières
La foule est tellement compacte que les agents de sécurité bloquent les déplacements. Pas moyen de s’approcher de la scène, on se rabat sur les mezzanines, mais l’acoustique ne permet pas d’entendre ce que dit l’artiste. Certains se découragent, et préfèrent partir. Tant mieux, on saisit alors quelques bribes sur la prochaine expo de JR au SFMOMA: “Les Chroniques de San Francisco” est une grande fresque murale, qui rassemble des centaines de San Franciscains pris en photo pendant le mois que l’artiste a passé dans la ville en 2018. Un dernier selfie avec la foule, et JR repart dans l’anonymat de la nuit.
11:47pm: Dominique Crenn, “Food is politics!”
La chef triplement étoilée, tout juste décorée de l’Ordre du Mérite, n’est pas venue pour servir la soupe: “L’humanité est en danger”, “Qui vote ici? Il est temps de dégager ce mec de la Maison blanche!” En conversation avec Rachael Myrow de KQED, elle aborde tour à tour la nécessité de promouvoir des habitudes alimentaires plus respectueuses de l’environnement et son horreur absolue des OGM. “Ça prendra du temps, mais on peut chacun faire un effort: ça commence par apporter votre mug quand vous achetez votre café”. Une suggestion de plus à mettre dans notre boîte à idées.
12:23pm: On discute, on peint, on danse
Et nous, on rentre. La fresque de du collectif 836M est presque terminée devant la bibliothèque. Les couche-tôt se félicitent d’être venus, les passionnés prolongent les discussions et on finira la nuit en musique.
Hélène Labriet et Joanna Valdant