Quand je dis autour de moi que je vais courir le marathon de New York, on me demande souvent: « mais comment feras-tu pour te repérer, éviter les autres… »
Mon secret: je n’ai pas un, ou deux, mais trois guides. Tous font partie de mon club, Achilles International, qui rassemble des personnes handicapées et valides pour des courses. Ces personnes veulent partager un nouvel aspect de la course à pied, plus communautaire, plus grégaire qu’à l’accoutumée. C’est assez organique. Il y a beaucoup de coureurs qui comme moi sont non-voyants, mais il y a aussi des personnes en fauteuil ou souffrant de troubles cognitifs etc. Les volontaires sont toujours les bienvenus dans cette communauté qui veut se dépasser.
Le 1er novembre, jour du marathon, ils seront donc trois autour de moi. Dustin sera devant, il nous ouvrira la voie. Stefan sera harnaché à moi, il naviguera à travers la foule. Matt surveillera notre rythme, il m’apportera de l’eau, et se tiendra prêt à prendre le relai si Dustin ou Stefan ne sont pas dans un bon jour.
Lors de mes premières sorties il y a quelques années, je ne voulais pas accepter l’évidence. Je voyais cet entourage comme des béquilles, comme un douloureux rappel de mon infirmité. Mais après quelques rires et beaucoup de transpiration, ces inconnus lugubres sont rapidement devenus mes amis, à tel point que j’oublie souvent ce harnais autour de ma hanche. Ils sont médecins, artistes, entrepreneurs, ils sont très différents quand j’y pense. Ils ne votent pas pour les mêmes personnes, ils n’écoutent pas la même musique, mais finalement peu importe. Nous n’avons tous qu’une seule obsession, le chronomètre.
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Ces guides sont plus que des amis, ce sont mes frères d’armes ! Ils m’ont calmé dans les moments d’hystérie, ils m’ont poussé quand mon corps n’en pouvait plus. Ils me connaissent mieux que moi-même. Il n’y a que peu de choses qui nous conduisent vers l’essentiel, on aime ce qui est clivant, on veut se démarquer. Mais pourtant quel bonheur d’être tous ensemble, bercé par le même idéal.
Leurs noms ne figureront sur aucun registre; mais ils seront gravés à jamais dans ma mémoire. Ils n’auront pour médaille que mon sourire et mes larmes. Ils ne courent pas pour être devant, ils courent pour être avec moi, pour être meilleurs.
Je vous laisse. Je viens de courir 30 km. Je commence à avoir froid, mon souffle est régulier, mon cœur bat lentement. Je fais quelques étirements, oh, comme c’est difficile de se relever ! Je vais rentrer, ma femme va me dire que j’ai encore trop poussé, que tout cela n’est pas très raisonnable. Heureusement, je suis bien entouré.