Nicolas Chartier n’a jamais autant porté de smockings de sa vie. Depuis plusieurs semaines, le co-producteur de « The Hurt Locker » , « Démineurs » en français, enchaîne les déjeuners, diners et cérémonies de remise de prix à un rythme effréné. Nominé neuf fois aux Oscars, son film connaît déjà une carrière exceptionnelle : depuis le mois de décembre, il a rafflé pas moins de 68 prix qu’organisent les différentes branches professionnelles, dont ceux des prestigieux National Film Critics et des BAFTA.
Dans les bureaux de Voltage Pictures, situés dans les collines d’Hollywood, le jeune producteur ne semble pas toucher terre. «La saison des prix, c’est un véritable marathon, avec le maximum d’interviews, de cérémonies, de rendez-vous. On fait tout ça jusqu’à ce qu’on arrive aux Oscars, si les gens ont entendu parler suffisamment du film, s’ils ont vu qu’on a gagné suffisamment de prix, s’ils ont vu qu’on avait suffisamment de couvertures dans les journaux, s’ils ont aimé le film et ils l’ont vu, ils vont voter pour nous et à la fin on essaie tous de décrocher l’Oscar ».
« Démineurs » raconte le quotidien d’une équipe de trois soldats spécialisés dans le déminage en Irak. Ce film de guerre sobre et juste fait figure de grand favori aux Academy Awards, face à un poids lourd de taille : Avatar. Notamment dans les catégories « Meilleur Film », « Meilleur Scenario » (Mark Boal, ancien journaliste qui a couvert le conflit) et « Meilleur Réalisateur ». « L’ironie veut que la réalisatrice Kathryn Bigelow soit l’ex-femme de James Cameron» glisse Nicolas. Pour lui, la montée en pression jusqu’au 7 mars, jour de la grande fête de l’industrie cinématographique, est inévitable. Il consacre tout son temps à défendre son film, produit indépendamment et poids léger d’un budget de 30 millions de dollars.
Excès de zèle
Seulement voilà, son enthousiasme lui vaut aujourd’hui une mini-polémique médiatique. En cause, l’email que Nicolas a envoyé à des membres de l’Académie des Oscars pour s’assurer de leur soutien et dans lequel il montre du doigt son puissant rival Avatar sans le citer. Son message publié dans les médias déclenche l’hostilité de la profession qui l’accuse d’influence abusive. Le producteur se fend du coup d’un message d’excuses «pour (sa) naïveté, (sa) méconnaissance des règles» et dans lequel il reconnait avoir “franchi la ligne”. Résultat, l’Académie des Oscars l’a interdit de cérémonie pour avoir violé les règles de la compétition. L’arbitre hollywoodien des élégances, le magazine Entertainment Weekly, parle lui de “manque total de classe”. Nicolas Chartier, veut croire que l’affaire n’a pas entamé ses chances. “J’ai tout de même fait de la place sur mes étagères, pour y installer les statuettes», rit-il.
Agé de 35 ans, Nicolas Chartier vit quoiqu’il en soit une belle aventure hollywoodienne. A 20 ans, il s’installe à Los Angeles après avoir vendu son premier script à Kushner-Locke. Il écrit des films érotiques et fait ses armes dans la vente de films auprès de distributeurs chevronnés. Avec Voltage Pictures, société fondée il y a 4 ans avec le producteur Dean Devlin, Nicolas a l’ambition de produire des films qui rapportent de l’argent et permettent de réaliser d’autres projets singuliers, moins vendeurs. « Je veux financer des films que l’on faisait dans les années 70 et 80 mais qu’on ne fait plus aujourd’hui » dit-il, citant « Salvador » ou « Midnight Express ». Le montage et le tournage de « The Hurt Locker » furent assez épiques et ont permis au producteur de prouver sa ténacité. La récompense des Oscars serait une belle cerise sur le gateau.