Le millésime du Next40, le classement annuel des jeunes pousses les plus prometteuses de la French Tech, est sorti. Il fait la part belle aux nouveaux venus – 14 membres y font leur entrée en 2022 – et surtout démontre la maturité atteinte par ce segment en une seule année.
Un petit rappel des règles tout d’abord. Pour accéder au Next40, les jeunes entreprises doivent avoir levé plus de 100 millions d’euros dans les trois dernières années ou bien avoir accédé au rang de licorne, avoir généré plus de 5 millions d’euros de revenus avec une croissance de 30 % et plus dans les trois dernières années, et être indépendantes (pas cotées en bourse). Mais la réalité aujourd’hui révèle que les startups françaises sélectionnées sont bien plus ambitieuses que cela. L’année 2021 a pulvérisé tous les records : les pépites tech de l’Hexagone ont levé 11,6 milliards d’euros, soit une hausse de 116 % sur un an. Les 40 entreprises du palmarès ont ainsi levé au minimum 49,6 millions d’euros cette année, contre 22 millions l’an dernier, a indiqué Cédric O, le secrétaire d’Etat au Numérique.
Officiellement, la France compte désormais 26 licornes tech, et a ainsi atteint l’objectif des 25 fixé par Emmanuel Macron pour 2025, avec trois ans d’avance. Surtout, nombre de ces pépites de la tech ont profité de cet argent frais pour pousser les feux outre-Atlantique, plus grand marché mondial dans ces secteurs en plein essor. French Morning a sélectionné celles qui se sont installées et le plus développées sur la côte Est l’an passé.
Parmi les grandes annonces de 2021, on se souvient de Sorare, qui avait annoncé avoir bouclé un tour de table de 580 millions d’euros en septembre dernier, soit la plus grosse levée de fonds de l’histoire de la French Tech. La startup, qui développe une plateforme de fantasy football basée sur les NFT, a récemment ouvert un bureau à New York et frappé un grand coup, en officialisant l’entrée à son board de Serena Williams. Elle compte recruter pas moins de 100 personnes dans la Grosse Pomme d’ici la fin de l’année.
Du côté de levées de fonds, c’est aussi la marketplace des produits reconditionnés Backmarket qui a défrayé la chronique. En mai 2021, elle annonçait un tour de table de série D de 335 millions de dollars, dont l’entrée du fonds de capital risque d’Al Gore – Generation IM -, et fixait sa priorité internationale sur le développement américain. Le groupe a décidé de tirer parti de l’emballement pour la French Tech et a réitéré, en début d’année, avec une série E de 550 millions de dollars annoncée en janvier. « Les États-Unis sont notre deuxième marché et ont vocation à devenir le premier rapidement. Nous avons enregistré plus de 100 % de croissance l’an passé », explique Serge Verdoux, directeur commercial et responsable du développement de Backmarket outre-Atlantique. Le groupe, qui est valorisé à 5,7 milliards de dollars, compte embaucher 50 personnes à New York cette année.
De son côté, Mirakl, l’éditeur de solutions marketplace qui a levé la coquette somme de 555 millions de dollars l’an passé, a établi son siège social outre-Atlantique à Boston. Avec 130 personnes sur place, « nous prévoyons de quadrupler au moins notre équipe américaine d’experts dans les trois prochaines années », a indiqué son cofondateur et CEO, Adrien Nussenbaum. Fin 2021, le groupe a aussi annoncé un partenariat avec Macy’s et développe une marketplace avec le centre commercial américain, qui sera lancée au deuxième semestre 2022.
Contentsquare, spécialiste de l’analyse de l’expérience client pour l’e-commerce, a aussi vécu une année 2021 de grande transformation. La startup de Jonathan Cherki a bouclé un tour de table de 500 millions de dollars en mai dernier, auprès de Softbank à nouveau. Elle a montré ses ambitions en matière d’ESG, lorsqu’elle a réussi le tour de force de recruter Kat Borlongan, l‘ancienne patronne de la French Tech, comme chief impact officer. Aux États-Unis, Contentsquare a signé l’acquisition de son rival américain Hotjar, plus focalisé sur les petites entreprises et qui va compléter son portefeuille de clients, en septembre dernier. « Nous sommes très fiers de faire partie du classement Next40. Contentsquare a grandi au sein de l’écosystème de la French Tech et poursuit aujourd’hui son aventure au niveau international. Le Next40 rassemble les leaders technologiques de demain — ça représente un potentiel d’innovation incroyable mais également une très belle opportunité de partage et d’échange », estime Jonathan Cherki, fondateur de Contentsquare installé à New York. Nous prévoyons de recruter plus de 1500 nouveaux collaborateurs au cours des trois prochaines années, y compris à New York ». Pour muscler ses équipes à New York, la startup vient de signer un bureau WeWork de 30 000 square feet sur quatre étages à Tribeca.
Quelques acteurs industriels français, bien que très minoritaires dans le classement, se distinguent aux États-Unis. C’est le cas de Kinéis, pionnière de l’Internet des Objets satellitaire, qui a franchi une étape majeure lorsque la Federal Communications Commission américaine a approuvé l’ouverture des services de sa future constellation de satellites à tous les utilisateurs américains. Kinéis, qui propose déjà ses services grâce à l’exploitation de sept satellites, va ouvrir une filiale à Washington en ce début d’année et recruter sur place afin d’accompagner de nouveaux clients.
Certains nouveaux venus du Next 40 se sont faits connaître et ont accédé au rang de licorne tout récemment. C’est par exemple le cas d’Exotec, qui fabrique le système robotisé Skypod pour la préparation de commandes dans les entrepôts. Après avoir ouvert un bureau américain à Atlanta en 2020, le groupe lillois a levé une série D de 335 millions de dollars en janvier dernier, devenant la 25ème licorne française, et mise beaucoup sur le marché américain pour son développement. Le cofondateur Romain Moulin le raconte bien volontiers, il a eu l’idée d’Exotec grâce à Amazon : lorsque Jeff Bezos a racheté les robots Kiva et a cessé de les vendre à l’extérieur, le duo de fondateurs a eu l’idée de concevoir son remplaçant. Après avoir séduit Gap, Uniqlo et Décathlon, Exotec compte équiper de plus en plus d’entrepôts américains curieusement encore peu technologiques.
Caroline Faucher-Winter, coprésidente de la French Tech New York, se réjouit des ambitions de la French Tech de ce côté-ci de l’Atlantique. « Nous sommes vraiment ravis de constater qu’un bon nombre de ces startups du Next40 sont déjà présentes à New York. Ravis mais pas surpris ! New York est la première destination des entrepreneurs français à l’international depuis 5 ans (devant la Sillicon Valley) grâce à cet écosystème unique offrant un accès aux talents, aux financements et aux leaders mondiaux dans toutes les industries. »
Un seul écueil pourtant dans ce classement visant à donner de la visibilité au tissu entrepreneurial français : dans le millésime 2022, aucune femme ne dirige un membre du Next40, ce qui démontre encore le déficit criant de financement des startup fondées par des femmes.