Bernie Sanders et Donald Trump sont candidats à la présidentielle aux Etats-Unis, mais pourraient très bien l’être en Europe. C’est l’avis Ivan Krastev, politologue bulgare qui préside le conseil d’administration du centre de recherches Center for Liberal Strategies. Il signe, jeudi, un édito dans le New York Times intitulé “l’Amérique n’est pas devenue folle, elle est juste davantage comme l’Europe“.
Selon lui, les symptômes qui sont apparus aux Etats-Unis à l’occasion de la campagne sous haute tension – “colère de la classe moyenne, l’arrogance des élites malaimées, l’absence de conviction partagée sur l’efficacité militaire et la peur de l’avenir” – existent aussi en Europe. Là, “les appels viscéraux du ressentiment politique” sont en train de gagner du terrain. “Quand j’entre dans un café ici à Sofia ou à Varsovie ou à Amsterdam, j’entends des groupes de femmes et d’hommes appeler à reconduire les étrangers en dehors du pays en bus, interdire les musulmans de territoire et à construire des murs sur les frontières.”
Pour lui, Trump pourrait très bien avoir dirigé l’Italie. “Son côté direct et cru et sa capacité à manipuler les médias ressemblent tellement au style politique de Silvio Berlusconi que je me demande souvent si M. Berlusconi n’est pas son coach secret” , ironise-t-il.
Pour Sanders aussi, l’Europe serait une seconde maison. “La plupart des jeunes Européens que je connais voient le capitalisme comme un système biaisé et injuste; pour eux, le socialisme réel – et non la social démocratie néo-libérale allemande – n’est pas un gros mot. Ils se voient comme les plus grands perdants du status quo, et rêvent souvent à voix haute de révolution (non violente, heureusement). Pour eux, la guerre entre les générations est la nouvelle version de la guerre des classes de leurs parents (et grands-parents et arrière-grands-parents).” Même Obama, selon lui, deviendrait de plus en plus européen. Les Etats-Unis “deviennent plus prudents sur leur politique étrangère, plus européens”, raconte-t-il.
Pour Ivan Krastev, la montée en puissance de Bernie Sanders et Donald Trump n’est pas étonnante. Elle reflète une désillusion, celle d’une Amérique “qui devient normale, incapable de compter sur une croissance économique partagée et infinie, et un isolement géopolitique exceptionnel” (…) En se comparant à l’Europe, les Américains étaient fiers de dire “cela ne peut pas se passer ici” – à savoir le socialisme européen et le fascisme européen. Ils se voyaient protégés contre les pathologies de la démocratie: les foules peuvent devenir folles dans d’autres parties du monde, mais pas aux Etats-Unis, pays du bon sens. Mais après des années de polarisation extrême et de gouvernance dysfonctionnelle, les Américains sont-ils toujours convaincus que leur démocratie ne peut pas être renversée?”