Nathalie Azoulai, lauréate du prix Médicis 2015, explore, avec son nouveau livre, les obsessions identitaires du temps. Elle présente « Toutes les vies de Théo » (éditions P.O.L) ce mois-ci à New York où elle participe à deux rencontres : l’une à NYU le lundi 24 février à 6pm et la seconde à Princeton le mardi 25 février à 4:30pm. Échange avec l’auteure et retour sur ce nouveau livre drôle et grave.
« Toutes les vies de Théo » retrace la formation puis la désintégration d’un couple mixte, celui de Théo et Léa, l’un catholique, l’autre juive. Non pratiquants, ils incarnent dans un premier temps une famille ouverte, où le croisement des cultures et des croyances nourrit intérêt et fierté. Le temps passe, ils ont un enfant. Théo est un historien, précisément en art, spécialiste de la Shoah. Il semble, selon l’auteure, qu’il « a toutes les clés pour comprendre Léa ». Cependant, suite aux événements dramatiques du 7 octobre 2023, Léa renoue de manière obsessionnelle avec la culture juive. Une distance se crée alors inexorablement entre les deux époux. Ce qui nourrissait leur curiosité réciproque se transforme en incompréhension.
Nathalie Azoulai décrit, au travers de détails cruels mais aussi teintés d’effets comiques irrésistibles, les fissures qui, peu à peu, réduisent le couple à deux individualités incapables de communication. Puis Théo entame une nouvelle relation avec une jeune femme arabe, une artiste émancipée. Va-t-il reproduire ce même schéma ? Quelles seront ses pérégrinations dans une culture qui lui est moins connue ? Sera-t-il à nouveau l’observateur du désastre au sein de son foyer ?
Au fond, qui est Théo, le héros central de ce livre ? Difficile à dire, tant il se construit au travers des obsessions des autres : sa mère, une Allemande dans un chemin expiatoire constant, puis ses compagnes, absorbées par les causes de leur sang. Nathalie Azoulai le dit « créature moderne, tournée vers une altérité fantasmatique perpétuelle ». À la manière d’un Flaubert fuyant la France pour Carthage après le procès fait à « Madame Bovary », Théo fuit sa propre identité et, comme Nathalie Azoulai le souligne, « se fait écho de celle des autres. Il incarne la capacité des hommes et femmes occidentaux d’aujourd’hui à se projeter sur des univers lointains, plus malheureux qu’eux ».
Lorsque le héros se déplace au Liban avec sa deuxième femme, l’auteure souligne finement sa capacité à s’adapter encore à une autre culture, plus viriliste. Cette fois-ci, sa candeur cède la place à l’opportunisme puisqu’il ne résiste pas aux charmes d’une société masculiniste qui lui promet une réussite professionnelle. Dans cette nouvelle vie, Théo est prêt à renoncer à son histoire personnelle.
Toutes les vies de Théo, Nathalie Azoulai, Édité chez P.O.L. Parution janvier 2025
Ce qui se dessine au travers du livre de Nathalie Azoulai, c’est aussi l’expression de la judéité de son auteure. Si le héros est bien le catholique Théo, c’est, malgré tout, son rapport à la culture juive qui préside à son destin. L’écriture est rythmée, moderne, drôle. L’écrivaine affirme avoir écrit « avec Flaubert sur son épaule », pour conserver un ton à distance de son sujet. Elle décrit les péripéties des protagonistes avec un sens de l’humour et du dérisoire qui nous piège souvent. L’apparente simplicité des situations ouvre en réalité à des questionnements politiques ou sociétaux d’une grande gravité.
Il fallait beaucoup de talent pour traiter d’un tel sujet, dans l’effervescence de l’immédiate actualité. Rebondissant sur la sortie de ce livre, Nathalie Azoulai élargit d’ailleurs la question par le biais des rencontres qui auront lieu ce mois-ci à la Maison Française de New York University et au Jones Hall de Princeton. Intitulées « Cacher et chercher : le judaïsme dans la fiction », elles donneront à la Française l’occasion d’évoquer la manière dont elle a, tout comme de nombreux auteurs européens, tels Franz Kafka, Romain Gary ou Patrick Modiano, élaboré une production écrite qui, selon l’auteure, « encrypte la judéité ». Ce sera l’occasion de confronter cette écriture « masquée » à la littérature juive états-unienne.
Nathalie Azoulai, Hide and Seek Jewishness in Fiction, New York University, La Maison Française, 16 Washington Mews, NY. Lundi 24 février 2025 à 6:00pm et Princeton University Jones Hall, NJ. Mardi 25 février 2025 à 4:30pm.