Français de New York, Auguste a perdu sa mère l’an dernier. Il revient sur les émotions contradictoires auquel il a fait face, en tant qu’expatrié, pendant cette période douloureuse.
La mort
“Perdre un être qui nous est cher, là-bas en France, alors que nous vivons notre vie d’expat est une terrible épreuve.
Nous nous retrouvons soudainement confrontés à une succession d’émotions aussi douloureuses que contradictoires et nous n’avons souvent pas d’autre choix que de les subir une à une jusqu’à ce que le tourbillon s’apaise et qu’une lumière au bout du tunnel apparaisse. Culpabilité, colère, regret, tristesse, mélancolie, remise en question, envie de retour ou certitude de ne plus faire partie d’un pays qui nous a vus naître, sont parmi les émotions les plus déstabilisantes auxquelles tout expatrié doit faire face lors du décès en France d’une personne proche.
J’ai appris la mort de ma mère alors que je venais juste de gagner l’un des plus gros budgets du marché. Tout en admirant l’Empire State Building, je savourais ma victoire les pieds sur mon bureau tandis que mon associé, malgré l’heure matinale, faisait sauter le bouchon d’un magnum de Moët et Chandon. C’est au moment où les coupes de champagne se remplissaient que le téléphone a sonné. Ne me demandez pas pourquoi ou comment, avant de décrocher, je savais déjà. “Maman est partie dans mes bras, il y a un quart d’heure” a murmuré mon frère, effondré à l’autre bout du fil. Le pauvre, je n’avais aucune peine à l’imaginer chez lui à Paris, prostré, le visage défait, perdu, ne sachant que faire.
“Quelle réaction minable!”
Étrangement, alors qu’il me racontait en détail les derniers instants de la vie de notre mère, je me voyais déjà en train de batailler avec Air France sur le prix du billet – “comme je dois partir sur-le-champ, ces salopards vont bien en profiter !” Quelle réaction minable quand j’y repense. Et pourtant, quelques heures plus tard à JFK, c’est bien ce qui se passe – ça vous fera 1850 dollars en classe éco, désolé c’est la règle.
Malgré la gêne évidente de la fille préposée au comptoir, j’étais remonté comme une pendule, pas par radinerie, mais par principe – “faire de l’argent sur le dos de ma mère décédée, ça ne vous dérange pas ?”. Quelle perte de temps. Quelle perte d’énergie. Ma priorité aurait dû être de prendre soin de la tristesse qui m’envahissait petit à petit. Hélas, moi le businessman new-yorkais, intouchable et invulnérable, ne voulait pas lâcher prise si facilement. Quel idiot. Au final, vaincu d’avance, j’avais déposé les armes et payé mon billet plein-pot. Toute la nuit, bercé par le ronron d’un Airbus A380, j’avais ruminé mon désespoir. Et m’étais saoulé au champagne que je n’avais pas bu douze heures auparavant.
La culpabilité
Dans le train qui m’amène à Biarritz où ma famille m’attendait, je ne suis pas au bout de mes peines. Épuisé et perdu à mon tour, je me repasse en boucle le cinéma de ma vie, un mélodrame dont je suis le héros perpétuel et qui me torture insensiblement.
Il y a vingt-cinq ans que je suis parti de France, ou plutôt que je m’en suis enfui. Né pauvre, je n’avais pour ambition que d’être riche, mais mon pays, embourbé dans sa façon étriquée de penser, m’en a empêché. Alors, en colère contre le monde entier, j’ai pris mes cliques et mes claques, sans me retourner. Avec le recul, j’avoue que mon départ impromptu de France était une cruelle façon de faire payer l’addition de mes désillusions à ma famille entière, et en premier à ma mère. Il faut avouer qu’elle avait le chic pour m’exaspérer, que je vive à Paris ou à New York. “Arrête de rêver, y a rien de mal à bosser à l’usine. Tu pars aux États-Unis, ce pays de beaufs racistes ? Ah surtout, ne me ramène pas une Américaine, j’en ferais une jaunisse ! Tu fais fortune, et alors ? Y a pas que l’argent qui compte dans la vie ! Mon poussin, tu es loin de moi, tu me manques et je suis vieille, rentres-tu me voir bientôt ?”
Quand je rentrais, c’était génial et douloureux en même temps. Génial de retrouver mes racines et douloureux de réaliser que de jour en jour je m’en éloignais. Ma vie était bien à Manhattan, nulle part ailleurs. Quand ma mère est tombée malade en septembre dernier, je suis allé la voir en trainant les pieds – maman, arrête de te plaindre, t’es increvable ! Le lendemain, dans le couloir de l’hôpital, le médecin nous apprenait qu’elle n’en avait plus pour très longtemps à vivre. Mon frère pleurait. Moi aussi, mais ça se bousculait tellement dans ma tête, que je ne savais vraiment pas pourquoi.
On vient d’enterrer ma mère et je ne pourrais plus jamais lui parler, la toucher, m’excuser, m’expliquer, goûter à son cake aux olives, tailler son rosier, réparer sa chaudière ou lui demander pourquoi elle m’a profondément emmerdé alors qu’elle m’aimait tant. Face au vide de sa disparition, je n’ai plus rien à quoi m’accrocher, si ce n’est au regret de ne pas avoir été assez à ses côtés. “T’as vu, j’ai réussi, je suis plein aux as, le roi du pétrole c’est ton fiston, t’es fière de moi, maman ?” Six pieds sous terre, enfin elle me sourit.
Rentrer ou ne pas rentrer
Dans l’avion du retour, alors que la tristesse fait place à une douce nostalgie, je griffonne sur une serviette cocktail d’Air France des plans auxquels je ne crois guère. Six mois ici, six mois là-bas ?
Ma famille et mes amis qui m’adorent ne comprennent pas que je rentre si vite à New York. C’est difficile à expliquer. Je les aime aussi et ils me manquent tout les jours, pourtant j’ai un besoin vital de revenir chez moi. “I need my life back” leur ai-je dit maladroitement. Je sais qu’ils souhaiteraient que je m’installe définitivement en France, parfois je leur réponds “pourquoi pas ?”, mais j’ai du mal à y croire. Je suis un expat, un immigré. Je vis ailleurs, loin donc seul, c’est mon ADN, j’y peux rien. Le sang qui coule dans mes veines est français. L’oxygène qu’il transporte est américain. Entre les deux, mon coeur même brisé, continue de balancer.
0 Responses
Trop émouvant, trop bien écrit…J’espère recevoir une mauvaise nouvelle comme celle-ci le plus tard possible.
Je vis une situation plus difficile, moi aussi je vis depuis 25 ans à New York, mais je vous passe les passages clichés, non je ne suis pas venue pour fuir ou être “riche”, mes frères en France ont beaucoup plus réussis que moi, et je ne suis plus du tout heureuse dans ce pays mais j’ai des enfants américains, je suis coincée. Enfin voilà ma mère a 70 ans et vient d’apprendre qu’elle a un cancer. Je vais être obligée de faire des allers-retours, finalement c’est bien plus difficile à gérer qu’un décès.
Je comprends…moi aussi ici depuis longtemps, passion de voyager coup de tete 20 ans, fuir une situation malheureuse a Paris et voila mariage enfant américain et je me retrouve ici “lost and confused” en recherche d’une identité française/americaine je sais plus… j’ai perdu mon frère d’un cancer en France, ma mere 85 ans… allers-retours de Los Angeles, je me sens coincee aussi, je culpabilise, je remet tout en question dans ma tete…je ne savais pas que cela aurait été si difficile….
Non ce n’est pas plus difficile. J’ai vécu les deux, mort brutale de ma mère, longue maladie pour ma mère. Le processus de deuil reste le même. Tristesse, colère, acceptation.
“Le sang qui coule dans mes veines est français. L’oxygène qu’il transporte est américain”. Tellement fort et vrai! Je nous imagine nombreux dans cette situation, avec toutes ces émotions contradictoires qu’on arrive à repousser jusqu’au jour ou on n’a plus le choix. Ce texte honnête soulève une réalité que si peu de membres proches peuvent comprendre.
Sincèrement désolé pour votre perte
Un pote avec qui j’etais super proche est décédé à Paris alors que j’etais vraiment à court d’argent. Payer plus de Mille dollars pour aller à son enterrement etait un sacrifice que je n’ai pas fait et que je regrette encore souvent. Merci pour ce bel article qui bizarrement me fait du bien…
Mon père est en “toute petite forme” et je redoute ce coup de fil en pleine nuit qui, même si je m’y attend, me fera basculer dans un monde que j’ignore complètement. Bien que je pense être une fille attentive et présente autant que possible, Je me demande parfois si ma place est bien là à Washington au lieu d’être à ses cotés.
Merci pour ce recit touchant ou je me reconnais Aussi . sinceres condoleances .
Un récit empreint de sincérité où bon nombres d’entre nous se reconnaîtront ex-patriés ou pas d’ailleurs….MCD
En lisant ce récit aussi touchant que sincère, on se demande si celui qui l’a écrit n’est pas celui qui l’a vécu. En ce qui me concerne, même si je n’ai pas encore perdu un proche, il y a plein de phrases qui résonnent en moi et en particulier: “j’avoue que mon départ impromptu de France était une cruelle façon de faire payer l’addition de mes désillusions à ma famille entière” et ” je ne pourrais plus jamais lui parler, la toucher, m’excuser, m’expliquer….ou lui demander pourquoi elle m’a profondément emmerdé alors qu’elle m’aimait tant”…Bravo French Morning pour avoir osé toucher un sujet si brûlant avec la délicatesse qu’il faut.
Cet article c’est moi il y a deux ans, hélas. Au début, cela a été très dur car il n’y a pas eu que la perte d’un proche à gérer émotionnellement mais aussi cet effet miroir limite malsain qui m’a ramené à mes propres vérités quant à mon depart aux states, et puis comme tout, je m’y suis fait et seuls les bons souvenirs restent. Bon courage
Un très beau texte. Très bien écrit et très juste. Pour ceux qui ont perdu un proche, ce texte est très parlant et sincere…. L’ultime question se pose finalement a ce moment la: where do I belong? Quand viendra mon tour, ou m’enterrer? Ici a New York, ou la-bas auprès des miens?
Wow, quel texte émouvant, limite éprouvant, mais qu’attendre d’autre avec un tel sujet ? Avec l’age, je pense de plus en plus à comment gérer la mort de mes proches, en France, mais c’est comme tout, je ne pourrais le savoir que lorsque j’y serais confronté. Profiter de la vie maintenant, à fond, est ma solution. Bravo pour ce bel article qui à l’air d’avoir la même conclusion.
Beaucoup de compagnies aériennes ont un tarif spécial pour le décès d’un proche. Lufthansa l’a fait pour moi il y a 5 ans et United pour un proche l’été dernier. Il faut appeler directement la compagnie aérienne et expliquer la situation, le tarif est alors le même que si le ticket avait été acheté 3 mois a l’avance. Je ne pense pas que air France fasse de même car ils ne le faisaient déjà pas il y a 5 ans. Merci pour cet article il fait écho a ma propre situation 🙂