La bonne odeur du café chaud se dégage de Tompkins Square Park, dans l’East Village. Ce mercredi 31 janvier, des volontaires de l’association de quartier EVLovesNYC s’activent pour remplir les gobelets et distribuer des repas chauds préparés dans une synagogue du coin. Devant eux serpente une file de plusieurs dizaines de migrants francophones venus d’Afrique de l’Ouest. Ils sont arrivés ces derniers mois à New York par la frontière sud des États-Unis en quête d’un nouveau départ.
Emmitouflé dans un gros manteau et une écharpe, Madiam découvre l’hiver de la Grosse Pomme: « Mes doigts sont gelés », avoue-t-il. Comme « 99% » des gens autour de lui ce jour-là, ce diplômé en beaux-arts et musicologie vient de Guinée. Il est Peul, une population persécutée et discriminée dans son pays par une ethnie rivale qui tient les rênes de l’administration et des forces de l’ordre. Pour arriver aux États-Unis, pays préféré à l’Europe où la politique migratoire s’est durcie, il a effectué un long et difficile voyage. De Guinée, il s’est rendu à Istanbul (Turquie), puis à Bogota (Colombie), avant de gagner la frontière américaine par tous les moyens possibles – « marche, bus, voiture, cheval… ».
Il est entré sur le sol américain via l’Arizona, où il a été pris en charge par la police de l’immigration. « Certains de nos amis ont été tués en cours de route par les trafiquants. D’autres ont été torturés, traités de tous les noms, jetés dans des cachots pour forcer nos parents à payer des rançons, alors qu’ils sont pauvres eux-mêmes et abîmés par l’âge, dit-il. Mais je n’ai pas de regrets. Avec tout ce que nous avons traversé, je ne m’attendais pas à être en vie aujourd’hui. »
Madiam est le visage d’une crise dans la crise. Dans l’ombre de l’immigration hispanique, des milliers d’Ouest-africains comme lui tentent de se faire une place à New York. Or, les interprètes et traducteurs manquent, ajoutant de l’incertitude et du stress à leur situation déjà dramatique. « Nous avons désespérément besoin de volontaires francophones », lance Michael Polenberg, l’un des responsables de Safe Horizon, une association qui vient en aide aux sans-abri et aux victimes d’abus.
L’ONG opère notamment un centre d’accueil sur la 125e rue à Harlem, où l’augmentation du nombre de migrants francophones a pris l’équipe de court. Elle recherche à présent des bonnes volontés pour faire l’intermédiaire pendant quelques heures en semaine. « Avec cela, nous pourrions être en mesure de mieux comprendre leur parcours et ce qu’ils ont vécu, ce dont ils ont peur et ce que signifie être en sécurité pour eux », explique Michael Polenberg.
Membre d’EVLovesNYC, Nathalie Sann Regnault essaie de combler les manques avec son énergie et son carnet d’adresses. En marchant le long de Tompkins Square Park, cette Parisienne installée à New York depuis plus de vingt ans lance des « bonjour, ça va ? » aux Africains qu’elle croise lors de la distribution de repas et les invite à se mettre dans la queue s’ils ne l’ont pas déjà fait. Auteure de six livres sur la Grosse Pomme, cette ancienne directrice de création sert d’interprète là où elle le peut, comme lors d’une récente conférence d’avocat sur le droit d’asile organisée dans le quartier. Avec le National Immigration Justice Center, une autre association d’aide aux immigrés, elle accompagne aussi les demandeurs dans la constitution de leur dossier. « Ces organisations ont tous besoin de traducteurs pour raconter le mieux possible l’histoire des demandeurs d’asile ».
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En plus de donner de l’argent à EVLoves NYC, qui a dû ajouter des séances de distribution de repas en semaine pour faire face à l’afflux de migrants, elle encourage les Français de New York à rejoindre l’organisme pour partager de « l’humanité » avec ces francophones en détresse. Elle a d’ailleurs créé un groupe WhatsApp où elle relaie les besoins de traducteurs (pour le rejoindre, écrire à [email protected]). « Ces migrants sont très intelligents et courageux, mais quand ils arrivent à New York, ils ne savent pas parler anglais. Ils sont invisibles. Si nous avions des traducteurs, ou simplement des gens qui veulent leur parler cinq minutes en français au parc, cela leur donnerait une visibilité, assure-t-elle. Il y a un grand déficit de français ».
La situation est d’autant plus urgente que le quotidien des migrants se complique. Le maire de New York, Eric Adams, a décidé de raccourcir à un mois (contre deux précédemment) le délai qu’ils peuvent passer dans un foyer. Objectif : réduire la pression sur ces structures, débordées par les arrivées. Les associations ont condamné cette décision, affirmant qu’elle allait produire des légions de SDF.
Certains Africains rencontrés à Tompkins Square Park ont dit qu’ils ne savaient pas où ils allaient dormir le soir même et passeront probablement la nuit dans la rue, exposés aux maladies et à la violence. « Comme on doit changer de lieu tous les mois, cela rend plus difficile l’inscription dans les écoles. On nous demande tout le temps de changer d’endroit », explique Mamadou Diallo, un Guinéen arrivé récemment à New York avec son petit frère. « On souffre, mais nous demandons à Dieu de nous aider encore un peu plus ».
Il fait pourtant partie des chanceux : il a pu déposer sa demande d’asile, ce qui lui permettra, dans 150 jours, de postuler pour une autorisation de travail afin d’exercer une activité déclarée. Pour d’autres, cela s’avère plus difficile. « Les avocats commis d’office sont débordés. On nous dit maintenant de contacter des juristes privés pour les demandes d’asile, mais ça coûte 5.000 dollars ! », lance un homme qui n’a pas souhaité donner son nom.
Ousmane Diallo, qui a fui la Guinée lui aussi, refuse de perdre espoir. Depuis son arrivée à New York il y a trois mois, cet étudiant enchaîne les abris. Malgré tout, il suit des cours d’anglais pour s’intégrer. Il espère passer son permis de conduire et suivre des formations professionnelles pour trouver un emploi. « L’homme est né pour travailler. Il faut se battre sans cesse pour sa vie et obtenir ce qu’on veut. C’est difficile actuellement mais on a l’espoir que ça va changer, dit-il. L’Amérique, c’est la grandeur ».
Si vous souhaitez faire un don ou vous porter volontaire, voici les associations citées :
EVlovesNYC . Pour rejoindre le groupe WhatsApp créé par Nathalie Sann, en faire la demande en lui écrivant à [email protected]
Safe Horizon (cliquer sur « Get involved » sur la première page)