Au milieu d’un agenda surchargé par le Dry January, Mélanie Masarin nous a donné rendez-vous dans un café branché d’Hollywood, non loin de ses bureaux de Beachwood Canyon, à Los Angeles. Sur la table, une élégante bouteille remplie d’un élixir rouge framboise trône à côté de deux petits packs de canettes estampillés « Ghia » (prononcez «Gui-a»). « Et voilà Berry, notre dernière création : elle est beaucoup plus tannique que Ghia et s’offre comme une alternative au vin », lance la Française, pull beige, longs cheveux bruns et allure sophistiquée. La bouteille qu’elle désigne contient un liquide couleur mûre.
Ces boissons, la jeune CEO en est fière : à 32 ans, elle connaît un succès fulgurant à la tête de Ghia. Sa marque d’apéritifs sans alcool cartonne aux États-Unis parmi ceux qui souhaitent arrêter ou diminuer leur consommation de spiritueux. Disponibles dans 1500 points de vente -épiceries fines, boutiques bio, bars à vins, restaurants- ses produits s’apprêtent à rejoindre les rayons de 1300 supermarchés Target. « C’est assez fou » réalise la Française.
À la tête d’une équipe de 12 personnes, elle ne compte pas s’arrêter là. « Nous pensons faire plus de 100% de croissance pour notre quatrième année, avec la participation de Pernod-Ricard dans notre dernière levée de fonds » anticipe-t-elle, sans dévoiler ses chiffres de vente. Il faut dire que le marché des « non-alcoholic beverages » (bières, vins et autres spiritueux sans alcool) est en plein boom, à l’heure où le sober movement se répand. Leurs ventes ont bondi de plus de 20% entre août 2021 et août 2022, pour s’établir à 395 millions de dollars, selon l’Institut Nielsen IQ.
Dans ce secteur florissant, Ghia occupe une place à part. Des notes de gentiane, de romarin et de yuzu; des ingrédients 100% naturels; la complexité d’un cocktail… « Nous n’essayons pas de recréer un alcool qui existe déjà, contrairement à certaines marques qui proposent du faux gin, du faux vin ou du “sparkling champagne”, souligne Mélanie Masarin. Nous adoptons une stratégie complètement différente, qui est de créer des recettes nouvelles, sans CBD, ni adaptogènes. Le but est de proposer un produit culinaire qui, on l’espère, restera dans le temps. »
Qui est cette surdouée, qui pitche son business en experte, passant du français à l’anglais avec un accent impeccable ? Originaire de Lyon, la jeune femme intègre la prestigieuse université Brown (Rhode Island). Après une première expérience en finance chez Goldman Sachs à New York, elle rejoint Dig Inn, l’enseigne de restauration farm to table, avant d’être recrutée par la marque de cosmétiques Glossier, dont cette passionnée de design redessine les boutiques.
En 2018, free-lance, elle n’imagine pas fonder sa boîte. Mais, après 6 mois de travail intense sans boire une goutte d’alcool, survient un déclic. La sobriété lui fait du bien, mais elle se sent « exclue de la vie sociale » lorsqu’elle refuse un verre. À l’époque, peu d’alternatives à l’alcool sont proposées à la carte des bars et des restaurants, constate-t-elle. D’où l’idée de créer « un vrai apéritif » sans alcool, « positif, convivial, fun », « pour donner aux gens le choix de boire ou de ne pas boire. »
En 2020, en pleine pandémie, la bouteille rouge à diluer dans de l’eau pétillante réussit son lancement en ligne, en totalisant 2,5 millions de dollars de chiffre d’affaires ! Des Spritz en canettes voient le jour, avec de nouvelles saveurs dérivées de la recette initiale : Lime & Salt, Gingembre, Sumac & Chili… À 29 ans, la voilà cheffe d’entreprise.
« Ça fait peur, reconnaît Mélanie Masarin. Je pense que je l’ai fait parce que je ne savais pas ce que c’était, donc je me suis lancée. Mais je ne connaissais rien sur l’industrie. Aujourd’hui, c’est plus facile, parce que j’ai plus d’endurance, mais les challenges sont beaucoup plus gros. On a levé plus de 10 millions de dollars auprès d’investisseurs. Je suis cheffe d’entreprise, mais j’ai aussi des boss.»
La presse américaine se passionne pour la success-story de la Française, en particulier depuis son passage remarqué dans l’émission télévisée Shark Tank, qui a fait 4 millions de vues l’année dernière. Elle a fait parler d’elle dans Vogue, Vice, Forbes, The Wall Street Journal, Glamour… Une notoriété qu’elle n’avait pas « anticipé », mais qui « l’aide beaucoup » à faire grandir Ghia, reconnaît cette pro de la com’, suivie par 25.000 abonnés sur Instagram.
En 2024, de gros défis l’attendent : exporter Ghia au Canada et surtout, en France. Réussir dans son pays natal, où elle se rend régulièrement, lui tient particulièrement à cœur. Une fois n’est pas coutume, pour parvenir à son objectif, cette fonceuse va prendre son temps…