On connaissait Matthieu Cognet le pianiste de talent, mais pas le coach vocal intraitable. Une activité de haute précision qu’il exerce quand il ne voyage aux quatre coins du pays pour ses concerts.
Depuis plus d’un an, le Français aide une vingtaine de jeunes chanteurs d’opéra scolarisés au Curtis Institute of Music, une école de musique prestigieuse de Philadelphie, à perfectionner leur diction française. Sa mission: s’assurer que les accents toniques tombent au bon endroit, que les liaisons soient faites quand il le faut, que les mots soient intelligibles… Le tout en suivant la cadence de la partition. « Je ne laisse rien passer tant que je ne suis pas satisfait », sourit le musicien, qui est aussi le directeur musical de la French American Piano Society.
Peu nombreux aux États-Unis, les chefs de chant francophones sont des ambassadeurs méconnus de la langue de Molière. Pianiste réputé dans la communauté franco-américaine et auteur de plusieurs albums, Matthieu Cognet doit son entrée dans ce milieu à une autre formatrice, Bénédicte Jourdois. Professeure de diction à la Juilliard School of Music, conservatoire renommé de Manhattan où le musicien était déjà pianiste-accompagnateur, elle le recrute au moment où, enceinte, elle se cherchait un remplaçant.
Il fait alors la connaissance d’un coach vocal d’italien, qui l’informe qu’un poste est disponible à Curtis, l’établissement qui a formé le compositeur Leonard Bernstein, la violoniste Hilary Hahn et d’autres grands noms. Le pianiste le rejoint en 2022, année où le chef d’orchestre québécois Yannick Nézet-Séguin (Met Opera, Philadelphia Orchestra…), titulaire d’un doctorat honorifique de Curtis, dirigea la formation musicale de l’école pour une soirée d’opéra français.
Partageant son temps entre New York et Philadelphie, le Français assure au même moment des cours de diction à la MSM (Manhattan School of Music), autre institution musicale new-yorkaise.
Quand il évoque son travail, il donne le sentiment d’être un chirurgien maniant le scalpel. Avec ses étudiants, il dissèque chaque syllabe pour s’assurer que la prononciation est parfaite. Et ce, malgré les pièges tendus par la langue de Molière, comme ces voyelles nasales qui n’existent pas en anglais, ces « e » silencieux… « Je corrige les sons, les phonèmes (éléments sonores du langage parlé, ndr), mais aussi le flot naturel de la langue », résume l’artiste. Un travail de fourmi qui exige par ailleurs de se plonger dans le contexte historique de l’oeuvre étudiée ainsi que l’identité des protagonistes. « En fonction du personnage joué, le français ne sera pas le même. Dans le cas d’une soubrette, le langage sera plus familier, on fera moins de liaisons. Pour une figure sacrée ou un roi, on soignera les subtilités. C’est très complexe. Déjà que ce n’est pas simple pour nous, Français ! ».
Avec ses étudiants d’horizons divers (Amérique latine, Europe, Asie, États-Unis…), il planche actuellement sur les Mamelles de Tirésias, un opéra bouffe de Francis Poulenc inspiré d’une pièce de Guillaume Apollinaire. Il sera joué en mars 2024 à Philadelphie. « Ce travail me permet de conjuguer plusieurs choses : tout d’abord la pédagogie et la transmission de la langue, mais également ma propre compréhension du style et du répertoire musical, dit-il. En tant que Français, il est agréable de se plonger ou replonger dans notre belle langue et notre littérature et de contribuer ainsi à en partager l’héritage. On devient en quelque sorte un ambassadeur du patrimoine musical français ».