Il faut le reconnaître, la présidentielle française ne passionne pas les Américains. Si les résultats du premier tour du scrutin sont « tout sauf réconfortants, montrant une extrême droite aux portes du pouvoir », écrit l’ancien correspondant du Washington Post à Paris James McAuley, l’enjeu du second tour ne fait pas la Une des médias aux États-Unis. « La réaction est en général au soulagement, estime Matthias Matthijs, senior fellow pour l’Europe au Council on Foreign Relations à Washington et Professeur associé à la Johns Hopkins School of Advanced International Studies, pour résumer le sentiment des Américains. Une opinion rassurée par des sondages d’entre-deux-tours se stabilisant autour des 55% en moyenne en faveur d’Emmanuel Macron et 45% pour Marine Le Pen. « Ça les intéresseraient bien davantage si c’était 50-50 ou 51-49 », précise l’expert pour expliquer le peu d’intérêt outre-Atlantique pour le scrutin de dimanche.
À la Maison Blanche, la campagne a été suivie de beaucoup plus près, non sans inquiétude de voir le président français sortant face « à des sympathisants de la Russie » avec, sur sa droite, Marine Le Pen, une candidate « aux liens étroits avec Vladimir Poutine » et, sur sa gauche, Jean-Luc Mélenchon, « vu comme la combinaison de Bernie Sanders, Jeremy Corbyn et Hugo Chavez », souligne Matthias Matthijs. L’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen changerait évidemment la dynamique, aux yeux de l’administration Biden, au sein de l’OTAN, du camp occidental et de l’Union européenne, elle aurait des conséquences quant à la prise en commun de sanctions contre Moscou ou encore à l’attitude à adopter vis-à-vis de Pékin. « Le ciel ne s’écroulerait pas mais – et c’est ce qui inquiète la Maison Blanche -, ça créerait une réelle paralysie de l’Occident ».
Lorsqu’il est arrivé à l’Élysée en 2017, Emmanuel Macron fascinait les Américains. Le président de 39 ans avait tout pour leur plaire : jeune, réformateur et pro-business. Donald Trump s’enthousiasmait de la « large victoire » (« big win ») du candidat sans parti officiel face à, déjà, Marine Le Pen, « qui avait sous-performé le jour du scrutin, avec moins de 34% des suffrages contre 66% pour Emmanuel Macron, alors que les sondages d’avant premier tour donnaient 39-61 », se souvient Matthias Matthijs. Mais l’image séduisante du jeune réformateur s’est ternie aux États-Unis, « il a perdu de son éclat », reconnaît Roger Cohen dans le New York Times. « Les Américains constatent qu’il revient déjà sur l’une de ses promesses, celle de repousser l’âge du départ à la retraite. Aux États-Unis, cet âge est officiellement de 65 ans, mais il est en réalité de 67 voire 70 ans. Donc l’idée, qu’en France, repousser cet âge à 64 ans puisse encore faire polémique, ça fait tiquer. »
Une déception réciproque. « Emmanuel Macron est probablement, de tous les leaders européens, le moins pro-Américain, préoccupé qu’un nouveau Trump puisse arriver à la Maison Blanche en 2024. Une crainte que ne semble pas partager l’Allemagne, plusieurs pays d’Europe de l’Est et les pays scandinaves, observe Matthias Matthijs. En France, on pense plutôt “et que ce passerait-il si les Américains nous abandonnaient, que ferions nous par nous-mêmes ?” Emmanuel Macron est conscient que la réthorique de Biden est certes très différente de celle de Trump mais que sa politique économique est, en fait, trumpienne, ça reste America First ».
Si l’issue du second tour ne semble pas faire de doute pour les Américains, peu se questionnent sur l’après, au grand étonnement de Matthias Matthijs. « Emmanuel Macron aura-t-il un Premier ministre issu de sa majorité ? » se demande-t-il, comme beaucoup en France. C’est tout l’enjeu des élections législatives du mois de juin (les samedi 4 et 18 juin pour les électeurs français d’Amérique du Nord). « Avec qui va-t-il gouverner ? Il n’a même pas vraiment de parti, le mouvement La République En Marche, construit uniquement sur sa personne, pourra-t-il seulement survivre au-delà du second tour ? », s’interroge l’analyste politique. À la Maison Blanche, l’administration se dit : “Ok, nous pouvons travailler avec Macron mais s’il n’a pas de majorité, qu’arrivera-t-il s’il finit avec un Premier ministre qui n’est pas de son parti et qui est lié au Rassemblement national ? ” C’est là que réside la réelle incertitude. »
Les Américains s’inquiètent surtout du fait que « plus de 40% des électeurs français se sentent à l’aise de voter pour quelqu’un comme Marine Le Pen », relève encore Matthias Matthijs. L’effondrement des partis traditionnels en France fait écho aux États-Unis. « Les Américains sont aujourd’hui pleinement conscients de l’importance du système électoral. Il est extrêmement difficile de créer un nouveau parti ici mais prendre un parti de l’intérieur est possible – ce qu’a réussi à faire Donald Trump avec le parti républicain mais ce que n’a pas réussi à réaliser Bernie Sanders avec le parti démocrate. » Le GOP a pris un tournant ultra conservateur, tandis que la droite modérée américaine a disparu. « Les alternatives à Emmanuel Macron sont des extrêmes. Et ça, c’est observé de près par les Américains. Car la France, puissance nucléaire et détentrice du droit véto aux Nations Unies, reste malgré tout un allié important pour les États-Unis. »
Pour Matthias Matthijs, le second tour de la présidentielle n’offrira pas de surprise, « je ne vois pas 50% des électeurs français » voter pour la candidate du Rassemblement national. « Trump et le Brexit avaient plus de chance d’arriver qu’une victoire de Marine Le Pen », résume-il, persuadé qu’Emmanuel Macron sera le premier président français réélu depuis 20 ans. « Mais que se passera-t-il en 2027 quand il ne pourra plus briguer l’Elysée, quand la course présidentielle sera complètement ouverte ? »