Beverly Hills, journée printanière de mars. Des senteurs florales nous transportent dans un univers voluptueux, sous le lustre art déco de l’immense lobby du Waldorf Astoria. Tatouages au poignet sous la blouse blanche de chef et sourire franc, Mathias Boirie, 35 ans, arpente d’un pas vif les galeries de marbre du palace. Nommé chef pâtissier du Waldorf Astoria il y a tout juste un an, le Français qui a grandi sur la Côte d’Azur s’y sent comme à la maison. Avec son allure un brin hipster, il a conscience de faire briller un savoir-faire très recherché dans l’un des plus beaux hôtels de LA.
Tarte fine aux pommes, baba au rhum exotique, tiramisu… Tous les jours, sa brigade confectionne l’ensemble des desserts proposés par l’hôtel à sa clientèle fortunée, que ce soit en chambre, au tea time (qu’il a imaginé de A à Z), au restaurant L’Espelette (créé par le chef français Steeve Benjamin) ou à la carte du Rooftop by JG, au douzième et dernier étage du majestueux building. Avec sa vue spectaculaire à 360 degrés sur Beverly Hills et Hollywood, ce bar-restaurant du célèbre chef français Jean-Georges Vongerichten totalise jusqu’à 600 couverts le week-end.
« Je vous fais visiter », propose Mathias Boirie, non sans fierté. Travailler dans cet hôtel 5 étoiles du groupe Hilton, il en rêvait depuis son arrivée à LA, en 2017. À l’époque, le Waldorf Astoria venait d’ouvrir, et le jeune chef avait tenté sa chance, sans succès. « J’avais dit à ma femme : “Un jour, j’y travaillerai !» se souvient-t-il, amusé. Un objectif qu’il a concrétisé 6 ans plus tard, après un passage par New-York et Miami. De la France aux États-Unis, des tables étoilées aux grandes chaînes de pâtisserie, il a gravi quatre à quatre les échelons d’une carrière de 20 ans déjà bien remplie.
À 14 ans, c’est pourtant un peu par défaut qu’il découvre la pâtisserie. « Comme je n’étais pas très discipliné à l’école, j’ai passé l’été à travailler dans le restaurant étoilé de mon oncle, le chef Eric Manent, à Porto Vecchio, en Corse, confie-t-il. Il voulait que je sois cuisinier, et moi j’étais tous les jours en pâtisserie. Tout est parti de là. » À 15 ans, il fait son apprentissage dans le sud de la France et « apprend à aimer » un métier qui, dit-il, n’est « pas très prisé ».
À la sortie, il acquiert « technique et précision » auprès des chefs étoilés Mathias Dandine au Lavandou, et Laurent Tarridec à Saint-Tropez, avant d’apprendre à « faire du volume » chez La Tarte Tropézienne. Après une année « géniale » à Londres, où il perfectionne son anglais en cuisine, retour dans le sud de la France, à Saint-Raphaël, où il aide son ami Brahim Mechemache à ouvrir sa boutique.
C’est sa femme qui le pousse à tenter l’aventure aux États-Unis, aujourd’hui son « pays d’adoption. » Après quelques mois à LA, cap sur New York, où le Français fait ses armes chez le chef Eric Bedoucha (Financier Pâtisserie). Juste avant la pandémie, il est embauché chez Norman Love Confections, en Floride. Une énorme pâtisserie d’où sortent 80.000 bonbons en chocolat par jour et où le jeune chef dirige 37 personnes (contre 7 aujourd’hui.)
Au Pays de l’Oncle Sam, sa technique à la française lui donne une longueur d’avance. « Les chefs pâtissiers français sont très recherchés ici pour leur savoir-faire et leur côté très créatif, leur capacité à créer très vite de nouvelles recettes. La France reste numéro 1 mondiale en la matière, même si les Japonais font des trucs incroyables » assure-t-il. Des gestes qu’il a dû apprendre à transmettre à ses équipes américaines, en s’adaptant à une culture différente.
Ce jour-là, dans les cuisines du Waldorf Astoria, on prépare des mini-verrines de panacotta aux fruits rouges et de mousse au chocolat. « La clef pour y arriver, c’est de soigner la manière de manager les gens, insiste Mathias Boirie. Ce ne sont pas les mêmes mots ni les mêmes méthodes qu’en France. Ici, il faut prendre les salariés par la main et les emmener, avec diplomatie, en détaillant chaque recette. » Ces dernières doivent plaire à une clientèle internationale, en privilégiant la simplicité des goûts.
Pour s’entraider au sein de ce métier exigeant, Mathias Boirie a lancé cette année un club de chefs pâtissiers aux États-Unis, « Pastry Chef Table. » Il regroupe déjà une dizaine d’entre eux, à LA et ailleurs à travers le pays. Lors de leur deuxième rencontre, au Ritz-Carlton de LA, chaque chef a apporté une création sur le thème du citron. Seule condition pour y participer : être au moins sous-chef d’un gros établissement… et accepter de partager ses recettes.