Vos racines et votre héritage vous rattrapent parfois de façon surprenante, et pour Guillaume Thomas, elle a le goût du cognac. Celui qui a été le directeur financier, puis le directeur de la transformation de Pernod Ricard North America à New York, vient de lancer une marque de cognac : Martingale. Une nouvelle aventure entrepreneuriale, sorte de retour aux sources puisque Guillaume Thomas est un enfant du cru.
Il a grandi à Cognac jusqu’à son bac, et sa famille n’est autre que l’un des plus gros producteurs de cognac, qui fournissait jusqu’à présent les deux plus grandes marques du spiritueux, Martell et Hennessy. « Mon grand-père a acheté un château et 20 hectares de vignes près de notre ferme après la guerre, et l’a beaucoup développé. Il en a fait un domaine de 250 hectares aujourd’hui et une des plus grosses distilleries de cognac, reprise par mon cousin. Après sa mort en 2016, notre famille a eu à cœur de valoriser son héritage en inaugurant notre propre marque », raconte Guillaume Thomas.
Il y a encore quelques années, Guillaume Thomas n’aurait jamais imaginé une carrière d’entrepreneur. Après un début de carrière en conseil en stratégie, il est entré en 2005 chez Pernod Ricard, une « superbe maison », qui l’a emmené en Afrique du Sud, en Irlande et enfin à New York en 2014. Une position de challenger sur le marché américain, où les enjeux sont immenses. La décision de la quitter pour reprendre l’affaire familiale et la lancer aux États-Unis n’a pas été simple, mais elle est un « aboutissement logique pour moi et ma famille ».
Guillaume Thomas passe désormais son temps entre la France et New York. Lors de notre entrevue, il revenait de la première mise en bouteille de Martingale. « Nous ne partons pas de zéro, la production est déjà existante. Notre but est de créer quelque chose de différent dans une industrie qui innove peu », fait-il valoir. Car les trois principaux acteurs (Hennessy, Martell et Remy Martin) se partagent 80% des parts de marché du cognac.
Certes, le cognac s’est beaucoup développé ces dernières années, notamment grâce à des collaborations avec des rappeurs, mais elles se focalisent sur l’aspect puissant, sombre et parfois lourd du spiritueux. « Le cognac ne peut pas être réduit à ça. Nous misons sur une richesse aromatique, un côté plus fin, élégant et frais ». Son cognac est distillé sans la lie pour être moins lourd, pendant 6 à 7 ans. Il mise sur un prix élevé de 120 dollars la bouteille (contre 60 dollars pour les grands, mais bien plus pour les extra old distillés pendant dix ans), et sera commercialisé d’abord à New York et Los Angeles, avant de s’étendre à d’autres territoires.
Martingale – le nom vient de l’expression « trouver sa martingale », la recette du succès, en référence à l’histoire de sa famille – commence tout juste à être distribué. Il va produire 15.000 bouteilles d’ici la fin de l’année, et l’objectif est d’en produire trois fois plus l’an prochain. Le Français a déjà recruté une équipe de sept personnes aux États-Unis et, pour se faire connaître dans le milieu rap et R&B, la marque a signé un contrat avec le DJ D-Nice, une référence très influente du milieu. Une phase de lancement importante pour Guillaume Thomas, qui a levé 4 millions de dollars auprès de sa famille et de business Angels. Il abordera un nouveau tour de table fin 2024. Il est confiant, le marché américain du cognac -qui pèse 2 à 3 milliards de dollars par an- est en plein essor, avec un taux de croissance de 5 à 15% (et même 20% en plein Covid).
Les challenges ? Il y en a beaucoup, reconnaît-il avec un sourire. Tout d’abord, se retrouver seul. Pour contrer cela, il a recruté un associé américain, Andrew Weir, son directeur marketing et commercial. Et puis bien sûr, les montagnes russes de l’entrepreneuriat. « Six jours sur sept, c’est fabuleux. Le dernier, on se demande ce qu’on est en train de faire. Mais c’est une passion. »