L’histoire a quelque chose de « Searching for Sugar Man », ce documentaire de 2012 devenu culte qui partait sur les traces de Sixto Rodriguez, un musicien folk américain porté disparu depuis les années 70 mais dont l’aura avait continué de briller à l’autre bout de la Terre (l’Afrique du Sud en l’occurrence).
Martin Dupont, un groupe français estampillé new wave, était séparé depuis la fin des années 80, tombant peu à peu dans l’oubli dans l’Hexagone. En parallèle, aux États-Unis, leur musique a continué d’être écoutée et même adorée par toute une génération de musiciens qui s’en est inspirée. À tel point que, poussé par un label new-yorkais, le groupe a décidé de se reformer et enchaînera six dates, de San Francisco à New York en passant par Los Angeles, Las Vegas ou Chicago au mois de mai, dans des salles dont les capacités dépasseront les 1000 personnes !
« Je n’en reviens toujours pas, confie Alain Seghir, le leader et fondateur de Martin Dupont. Quand j’ai été sollicité, j’ai d’abord cru qu’un copain me faisait une blague. J’avais toujours gardé espoir de m’y remettre mais c’est quand même complètement inespéré. »
Les membres avaient chacun bifurqué dans une carrière loin des salles de concert. Alain Seghir est notamment devenu chirurgien ORL à Avranches. Sans savoir qu’à 6000 kilomètres de là, les morceaux qu’il avait composés il y a trois décennies connaissaient une seconde vie. Plusieurs artistes américains les ont utilisés, notamment le rappeur new-yorkais Theophilus London sur les conseils, dit-on, de son producteur… Kanye West. Le nombre de fans a lui aussi grossi avec le temps : le site songkick par exemple, qui référence les concerts autour de chez soi, indique 4000 personnes abonnées aux alertes de Martin Dupont.
Mais pourquoi l’Amérique a-t-elle continué d’écouter et de chérir la musique de ce groupe resté relativement confidentiel dans son pays d’origine ? « Peut-être parce qu’on reprend leurs racines, cette pop-rock avec ‘’synthés’’, répond Alain Seghir. J’étais très feignant, je me suis toujours arrêté au premier jet, les morceaux dégagent sans doute beaucoup de spontanéité. Il y a toujours un truc bizarre dans nos morceaux, quelque chose d’indéfinissable, qu’on ne retrouve pas ailleurs. J’y ai mélangé de nombreuses influences. J’écoutais beaucoup de jazz, de pop rock, mais aussi des labels inconnus, de musique indienne notamment. Je me revois aussi, gamin, écouter de la musique arabe dans les bars de quartier de Marseille d’où je suis originaire. »
C’est à New York que le groupe a été relancé, par le label Minimal Wave créée par une figure de la scène electro de la Grosse Pomme, Veronica Vasicka. « Quand ils ont voulu éditer un coffret à 200€, j’ai pensé qu’ils étaient fous, que personne n’achèterait à ce prix-là, confie le musicien. Ils ont tout vendu et ont été obligés de le rééditer ! »
Alain Seghir s’est même remis à la composition et a retravaillé les morceaux d’origine. Un album en a été tiré. Il s’intitule « Kintsugi », du nom de cette technique japonaise qui consiste à réparer des porcelaines ou céramiques brisées au moyen de laque saupoudrée de poudre d’or. « C’est exactement ce que j’ai essayé de faire avec nos morceaux de l’époque », admet-il.
Il n’en revient toujours pas que certaines de leurs premières parties (Xeno & Oaklander notamment) soient des groupes dont il possède tous les disques, ou encore qu’une radio californienne ait récemment consacré à son groupe une émission de plus d’une heure. Le groupe s’est retesté à l’occasion de quelques dates françaises et européennes et a rencontré un beau succès.
Poussé par la seconde jeunesse de sa musique, Alain Seghir pense à ralentir sa carrière de chirurgien pour se consacrer davantage à la musique. « Cela m’a fait mal au cœur de renoncer à de nombreuses dates supplémentaires aux États-Unis parce que je ne voulais pas m’absenter plus de 15 jours, regrette-t-il. On a aussi refusé une tournée en Amérique latine. » Séduits par l’histoire de ce come-back improbable, plusieurs documentaristes ont déjà pensé diriger leurs caméras vers le groupe… Bientôt un Sugar Man français ?
Martin Dupont en tournée à San Francisco, Los Angeles, Las Vegas, Denver, Chicago et New York, du 18 au 28 mai 2023. Billets ici.