Elle a travaillé avec les plus grands. De Marcello Mastroianni à Al Pacino en passant par Clint Eastwood ou Claude Lelouch, pour n’en citer qu’une poignée. Mais paradoxalement, elle a la célébrité en horreur.
Mélange de simplicité, de chaleur, de grâce et d’élégance, Marthe Keller a consenti à faire une légère entorse à ses principes en acceptant l’invitation de l’American Cinémathèque et du Consulat de Suisse, qui consacrent une semaine spéciale à l’actrice helvète. « Je suis très touchée par cet hommage », glisse-t-elle avec humilité.
Vendredi 1er mars, la Cinémathèque diffusera deux de ses films, « Marathon Man », de John Schlesinger, qui marque ses premiers pas dans le cinéma américain, en 1976, et « Au Galop », du jeune réalisateur Louis-Do de Lencquesaing, dernier long-métrage dans lequel elle a tourné. Ce sera aussi l’occasion pour Marthe Keller de revenir sur son parcours. « Je préfère ce terme à celui de carrière, dit-elle. Je ne crois pas aux calculs. Tout ce que j’ai fait m’est arrivé par accident. Et très souvent par amour». Adolescente, Marthe Keller se destine à devenir danseuse, par admiration pour une amie issue d’un milieu plus aisé qu’elle. Un accident de ski l’oblige à 16 ans à changer de voie et à s’orienter, un peu par hasard, vers le théâtre puis le cinéma. Autre “accident” en mai 68 : « Je me suis retrouvée bloquée à Paris. C’est là que j’ai rencontré Philippe de Broca avec lequel j’ai ensuite tourné» et qui deviendra plus tard son mari et le père de son fils, Alexandre. « Petit à petit j’ai pris goût au cinéma mais ça ne m’empêche pas d’avoir le trac, même de plus en plus ! Au théâtre, il ne faut surtout pas me parler avant que j’entre en scène».
Timide, à ses débuts, Marthe Keller dit s’être libérée en jouant dans différentes langues étrangères. Elle en parle quatre (l’allemand, sa langue maternelle, mais aussi le français, l’anglais et l’italien). « Lorsque l’on joue dans une autre langue que la sienne, on ne se concentre plus sur soi mais sur cette nouvelle langue. On y met toute son énergie. Du coup, plus le temps d’avoir peur. C’est extrêmement libérateur, explique-t-elle. J’enseigne actuellement dans une école de cinéma en Suisse, la Teinturerie, où j’ai récemment fait cette expérience incroyable avec de jeunes comédiens qui ont dû jouer les Trois Sœurs de Tchekhov dans 14 langues, de l’arabe à l’italien en passant par la langue des signes et l’hébreu, qu’ils ne connaissaient pas !». La chaîne Arte souhaite en faire un documentaire.
« La mentalité suisse tue parfois le talent »
Née à Bâle, Marthe Keller est très attachée à la Suisse, où se trouve sa résidence principale, bien qu’elle vive une grande partie de l’année à Paris. « J’ai besoin de la Suisse. Quand j’étais jeune, j’étais claustrophobique. Je ne pensais qu’à partir et voyager. Il y a en Suisse des talents énormes. Malheureusement, la mentalité suisse parfois tue ce talent. Nous sommes trop pudiques, trop timides. Une espèce de calvinisme nous retient en arrière, une obéissance qui va contre l’art, là où nous devrions être anarchistes ! dit-elle. En même temps, les Suisses sont extrêmement curieux. C’est rare d’en rencontrer un qui n’a jamais voyagé. Ils remplacent beaucoup la parole par l’observation. Comme dans l’horlogerie ! Ou les documentaires par exemple pour lesquels nous avons eu des réalisateurs très doués ».
La star de ” La Demoiselle d’Avignon” ne se voit pas en revanche vivre à Los Angeles. « J’y ai habité et tourné plusieurs films. C’est une ville fantastique lorsque vous y travaillez. Mais en dehors de ça et du cinéma, culturellement, c’est une ville assez pauvre, comparée à Paris ! Après bien sûr il y a le soleil, la végétation… C’est très agréable d’y venir de temps en temps. Mais je crois qu’au bout d’un moment, je m’ennuierais ».
Celle qui a partagé sept ans de sa vie avec Al Pacino dit aspirer aujourd’hui à autre chose qu’aux paillettes hollywoodiennes. « Comme je le dis souvent, aux Etats-Unis, on a besoin d’être dans un film qui marche bien alors qu’en France, on a besoin d’être bon dans un film. Je trouve que le cinéma américain est aujourd’hui un peu en chute libre, dominé par les blockbusters. La France a la chance d’être un pays extrêmement privilégié en terme de subventions ». Ces dernières années, l’actrice a délaissé les réalisateurs américains pour de jeunes réalisateurs français comme Nicolas Boukhrief ou Louis-Do de Lencquesaing. « Je suis très curieuse, j’aime découvrir de nouvelles choses. J’adore leur côté labradors fous. Avec les jeunes réalisateurs, ça court partout. C’est génial ! ».