Le prochain gala du FIAF (French Institute Alliance Française) aura une saveur particulière pour Marie-Monique Steckel. Un prix spécial lui sera attribué lors de la soirée du 15 novembre, au cours de laquelle le président de Saint-Gobain, Pierre-André de Chalendar, et l’écrivain Marc Levy seront également distingués.
En effet, après dix-sept années aux commandes de l’institution franco-américaine de la 60e rue, celle que l’on surnomme « MMS » a décidé de quitter ses fonctions à la fin de l’année pour se tourner vers d’autres projets. « Ce gala va être comme un feu d’artifice. J’ai l’impression d’avoir rempli ma tâche », raconte-t-elle, assise dans son bureau au dernier étage du FIAF. « Ce n’est pas un moment aigre-doux pour moi. Au contraire, c’est très excitant. J’ai l’impression que je vais entrer dans un nouveau chapitre de ma vie ».
À 82 ans, la présidente laisse derrière elle une institution transformée. Première femme à diriger cet organisme devenu le plus grand centre culturel et linguistique français en Amérique du Nord, elle a piloté, à son arrivée en 2004, l’ambitieux projet de rénovation et d’agrandissement du bâtiment du FIAF, près de Central Park. L’objectif de ce chantier à 24 millions de dollars : faire de ce centre, résultat de la fusion de deux entités fondées à la fin du XIXe siècle, une « destination » pour le public français et francophile.
En plus d’avoir développé l’offre de cours de français du centre de langue (création d’une antenne dans le New Jersey, ouverture d’une maternelle…), elle a revu de fond en comble la programmation culturelle, lançant de nouveaux rendez-vous visant à dépoussiérer l’image de la France et de la francophonie à New York. Parmi eux, le festival pluri-disciplinaire Crossing the Line, qui fêtera à la fin octobre sa 14e édition. Ou encore World Nomads (centré sur les cultures francophones), Animation First (sur le film d’animation) et, récemment, Burning Brighter, une vitrine des nouvelles voix du cinéma français issues de la diversité.
En plus de talents émergents, souvent inconnus aux États-Unis, des poids-lourds du monde des arts (Isabelle Adjani, Isabelle Huppert, Jeff Koons…) et des affaires ont rendu visite au FIAF pendant sa présidence pour participer à des pièces de théâtre, des spectacles de danse ou des conférences sur l’art de vivre, le business et la mode notamment.
Les événements à venir donnent un aperçu de cette diversité : une série de films sélectionnés par le réalisateur Wes Anderson, un petit-déjeuner avec le PDG de LVMH Amérique du Nord, une visite en direct d’un château en France et une pièce de Tania de Montaigne pour les jeunes New-Yorkais sur l’icône des droits civiques Claudette Colvin… « Quand j’ai pris les commandes de cette institution, on m’a conseillé de ne pas prendre de risque et de ne proposer que du cinéma. J’ai trouvé qu’il fallait au contraire montrer toute la richesse de notre culture. C’est un véritable défi. Pour chaque événement, nous attirons un public différent. Les personnes intéressées par nos films ne sont pas celles qui vont à nos conférences sur le luxe ou à nos festivals, explique-t-elle. J’ai eu énormément de chance. On m’a donné un fauteuil pour assister à toute cette richesse ».
Du RPR au FIAF
Prendre les rênes du FIAF n’allait pas de soi pour Marie-Monique Steckel. Directrice de la communication du tout nouveau RPR de Jacques Chirac dans les années 1970, elle a fondé l’antenne américaine de l’actuelle Invest in France, l’agence de promotion économique de l’Hexagone à l’international, avant de monter et diriger la bureau nord-américain de France Telecom. Elle a aussi été la conseillère de Ronald Lauder, fils de la femme d’affaires Estée Lauder, fondatrice de l’empire de cosmétique qui porte son nom.
Le FIAF fut le premier poste de direction de Marie-Monique Steckel dans le secteur des non profit. « Peu de gens comprennent pourquoi je fais ce travail ! », glisse-t-elle. Le labeur est aussi stimulant qu’éprouvant : le FIAF est un organisme américain privé financé par des donations, les revenus du centre de langue et les recettes des événements, et non des fonds publics français. À lui seul, le gala du FIAF permettait de lever près de deux millions de dollars chaque année avant la pandémie, selon les rapports annuels de l’organisation. « Chaque année est comme une grande course d’obstacles : il faut trouver le public, lever les fonds, organiser les événements… Je n’ai pas vu les dix-sept années passer, avoue-t-elle. Dans le monde culturel, il y a une intensité, une fragilité particulière. On est toujours sur une ligne de crête ».
Une nouvelle dirigeante ?
Son départ n’est pas lié à la pandémie de la Covid-19, qui a pesé sur les comptes du FIAF et ralenti la mise en œuvre de projets d’embellissement notamment. En effet, elle songe à la vie d’après depuis 2019. « Avec l’énergie que j’ai, je me suis dit qu’il était dommage d’attendre. Je ne voulais pas d’une fin en réduction au FIAF ou qu’on me dise : ‘vous savez Marie-Monique, il est peut-être temps…’. Pour ma part, je pense que je peux partir la tête haute. »
Elle assure ne pas être impliquée dans la recherche de son successeur. Celle-ci a été confiée à Phillips Oppenheim, un cabinet de chasseur de tête spécialisé dans le secteur à but non-lucratif. Marie-Monique Steckel sera vraisemblablement remplacée par une femme. La décision finale sera prise par le conseil d’administration du FIAF. En attendant, les entretiens sont en cours. « Il n’est pas évident que le processus soit bouclé avant le gala, indique MMS. Rien ne presse. Je suis encore là jusqu’à la fin décembre. »
Du FIAF, elle ne repartira qu’avec deux cartons – « il faut être léger dans la vie ». Elle les remplit déjà de photos, de textes de vieux discours et de souvenirs de ses anciens postes. « Leveuse de fonds » hors pair, elle repart aussi avec un énorme carnet d’adresses et des expériences qui l’aideront à préparer son coup d’après. Car celle qui déteste le mot « retraite” et n’a pas l’intention de « regarder les marguerites éclore ».
Son objectif : se lancer dans des « aventures à impact social » entre la France et les États-Unis et servir de modèle pour les femmes qui veulent rester actives. « Nous nous battons comme des lionnes pour réussir nos carrières et, après, on plie la tente. Ce n’est pas ce que je veux faire. Je veux continuer à explorer le monde des idées, le monde social et montrer qu’il n’y a pas d’âge pour les braves ».
*L’auteur de cet article a travaillé au FIAF en 2007