« On peut se préparer autant qu’on veut, mais on ne sait jamais ce qu’il va se passer le Jour-J ». Chez elle, dans l’Upper East Side, Karine Jones est déjà en mode course ». Le dimanche 7 novembre, la Française sera au départ du marathon de New York. Cette édition 2021, cinquantième du nom, promet de rester dans les annales. Annulé l’an dernier pour cause de Covid-19, l’événement rassemblera moins de coureurs que d’habitude (la levée du travel ban n’aura lieu que le lendemain, au grand dam des marathoniens internationaux). Mais il en faut plus pour entamer la motivation de Karine. « Cela va être explosif ! On ne vivra jamais un truc pareil, promet-elle. Pour les New-Yorkais, c’est le début du renouveau ».
« Ca m’a donné un sens »
Athlète dans son enfance et adolescence, cette Française de 50 ans ne court pas pour réaliser un bon chrono. Poussée par une amie cardiologue du Lycée français, elle a choisi en 2015 d’endosser le maillot orange de Fred’s Team, l’équipe de coureurs du Memorial Sloan Kettering Cancer Center (MSK), un centre spécialisé dans le traitement et la recherche sur le cancer. L’histoire de ce groupe, qui lève chaque année des millions de dollars pour l’institution, est intimement liée à la course new-yorkaise elle-même. « Fred » n’est autre que Fred Lebow, le co-fondateur de l’événement. Soigné à MSK pour un cancer du cerveau, cet immigré charismatique faisait, en 1991, ses joggings dans les couloirs de l’établissement ! La même année, un groupe de coureurs s’est mobilisé pour lever des fonds pour le centre, marquant ainsi la naissance de la dimension caritative du marathon. Fred’s Team verra officiellement le jour quatre ans plus tard et deviendra la plus grosse « charity » de la course.
Ses centaines de coureurs sont bichonnés. Médecins, infirmiers, rescapés du cancer ou simples soutiens comme Karine Jones: ils sont encadrés par des coaches, participent à des réunions de préparation… Une fois lancés dans les rues, ils ralentissent traditionnellement au « Mile 17 », où se situe MSK, pour enlacer les patients installés sur des gradins, faire un « high five » et échanger larmes et sourires. Cette année, Covid oblige, ils se contenteront d’un salut de la main en passant. « Nous, les marathoniens qui levons des fonds, nous donnons tout. Personnellement, je m’entraîne six jours sur sept tout en essayant de récolter un maximum d’argent. Je cours pour cette cause et je vais le faire toute ma vie. Cela m’a donné un sens ».
Bande de dreamers
Elle n’est pas la seule tricolore à enfiler ses baskets pour la bonne cause. Mirjam Lavabre revêtira, elle, le dossard de First Candle, une association basée dans le Connecticut qui veut mettre un terme au syndrome de la « mort subite du nourrisson ». Ce mal méconnu frappe 3 600 enfants par an. Il a emporté sa fille Lola il y a quinze ans. Ce dimanche, elle affrontera les 26 miles aux côtés de quinze co-équipiers, presque tous français. « À 51 ans, c’est la première fois que je cours le marathon de New York et peut-être la dernière car l’entraînement est intense !, observe-t-elle. Heureusement, un membre de notre équipe a de l’expérience en la matière et nous a fait un programme de préparation sur mesure ».
Il y a plusieurs manières de participer au marathon de New York. Lever des fonds pour une charité en est une. Chaque association est le libre de fixer le minimum d’argent qu’elle souhaite récolter tant qu’il correspond à 2 500 ou 3 000 dollars par coureur, selon la formule choisie. Mirjam Lavabre, elle, a découvert First Candle parmi la liste des dizaines de fondations reconnues par les organisateurs du marathon. Elle l’a contactée pour obtenir des dossards pour dix co-équipiers qui n’étaient pas encore inscrits. « D’habitude, ils en donnent deux ou trois. Je me suis dit: si je les obtiens tous, je fais quoi ?!», sourit-elle. Cela n’a pas loupé. Elle les a tous eus. Ses potes, qui se surnomment les « Dreamers », l’ont suivie.
L’argent levé permettra à First Candle « d’aider les parents dans leur deuil et leur apportera un soutien financier, explique Mirjam Lavabre. Contrairement à la mort d’une personne âgée, on ne peut pas anticiper la disparition d’un enfant en bas âge. À ce stade dans leur vie, les parents n’ont souvent pas l’argent nécessaire pour couvrir le coût de l’enterrement, qui est très élevé aux États-Unis“. Pour cette professionnelle de la restauration, participer au marathon est une manière de « give back». « J’ai eu de la chance d’être entourée après le décès de ma fille. Si cela n’avait pas été le cas, je ne sais pas dans quel état je serai. Je suis consciente que la plupart des gens confrontés à cette épreuve n’ont pas cette chance. Je voulais les aider comme je le pouvais », poursuit-elle.
De son côté, Alain Bernard court pour les sans-abris à New York. Avec de Marie de Foucaud et Agathe Louvet, deux Françaises de la ville, ce consultant fait partie des onze coureurs de la Team Bowery Mission. Le trio de sportifs était déjà impliqué depuis longtemps dans cette association caritative fondée en 1879. L’an dernier, ils ont contribué à recueillir plus de 200 000 dollars – un record – dans le cadre d’un « semi » qu’ils ont organisé à la place du marathon annulé. La crise sanitaire a rendu leur engagement encore plus important. Avec l’explosion de la population des sans-abris, les besoins en repas et en structures d’accueil n’ont jamais été aussi urgents. « À New York, le nombre de millionnaires et de personnes sans toit augmente dans les mêmes proportions », regrette le Français.
Il n’a pas qu’un oeil sur son chrono: les chiffres des fonds levés (près de 90 000 dollars à l’écriture de ces lignes) l’intéressent aussi. « Même s’il y aura certainement moins de spectateurs, cela sera un moment extraordinaire, comme toujours. Le marathon est un moment de communion avec tous les New-Yorkais, dit-il. Quand on court, on est porté par la foule. Et quand on le fait pour une cause, on est porté encore plus ».
Les flamands roses de l’ANY
Accueil New York (ANY) sera également sur la ligne de départ. Cette année, douze membres des Flamingos, le club de sport de l’association, participeront à l’évènement dans leurs traditionnels t-shirts roses. Seul un d’eux a déjà couru le marathon de New York. Toute la communauté ANY s’est retroussée les manches pour l’occasion: une sophrologue pour la préparation mentale, un coach sportif pour l’entraînement, un ostéopathe pour les bobos et une instructrice de yoga pour le conditionnement… Trente volontaires ont également été recrutés pour hydrater et encourager les coureurs le long de l’itinéraire, redouté pour ses rues cabossées et ses angles droits notamment. « C’est une aventure collective et communautaire ! », glisse Karine Andrieu, la secrétaire générale de l’ANY, qui a surveillé l’alimentation des sportifs.
Les Flamingos ont décidé de se mobiliser pour venir en aide aux enfants atteints de cancer après que le neveu de l’une des coureuses a été diagnostiqué. Objectif: lever 10 000 euros pour l’association lyonnaise APPEL (Association Philanthropique de Parents d’Enfants atteints de Leucémie ou autres cancers). « Cette cause soude notre groupe. Quand on ressent un coup de mou dans les entrainements les plus durs, on tient parce qu’on se rappelle qu’on s’est engagé, explique Sophie Quéré, l’une des coureuses. Par rapport à ce que ces enfants vivent, un marathon, ça n’est pas grand chose ».
Après quatre mois d’entraînement, Anne Ricard, une autre Flamingo, est impatiente de s’élancer. « On est content d’être tous les douze sur la ligne départ, dit-elle. Et en même temps, on a hâte que cela se termine. On pourra enfin manger ce qu’on veut ! » Tous les coureurs français seront reçus au consulat de France le 10 novembre pour fêter leur performance comme il se doit. Karine Jones, elle, pense déjà à la suivante. « J’ai promis de courir vingt marathons pour Fred’s Team. Je le ferai !, dit-elle. Quand on en termine un, on a l’impression de pouvoir surmonter n’importe quoi, d’avoir une force décuplée. Je souhaite à chacun de vivre cette expérience ».