Dimanche prochain 5 novembre se tiendra la 52e édition du marathon de New York. Près de 50.000 coureurs se préparent à parcourir 42.195 km à travers les 5 boroughs. Mais aussi les quelque 1.200 bénévoles qui participent au bon déroulé de la course. Sophia Lechanoine, Caroline Dougerty, Louis Robert, Angéline Galinier-Warrain et Perrine Giacomazzo ont ainsi participé au marathon de New York du côté des volontaires. Elles et il nous racontent une expérience inoubliable.
Au téléphone, malgré la distance et les années, l’émotion de Perrine est toujours palpable. « On est le premier visage que voient les coureurs, la première personne à les féliciter après des heures d’efforts et de souffrance… J’en ai encore la chair de poule. »
En 2013, alors qu’elle vit à New York, Perrine se propose en tant que volontaire pour le marathon. « J’aime les rencontres, participer à des événements collectifs. C’est de famille. Mes parents retraités œuvrent pour plusieurs causes et associations. » Perrine est très sportive, mais ne court pas. « Je suis plutôt surf, vélo… » Et dodgeball. « Notre Club a quand même été sacré ‘Champion du Queens’ en 2011 ! » C’est là qu’elle entend parler du volontariat. Plusieurs joueurs sont aussi des marathoniens. Elle s’inscrit immédiatement.
À son arrivée en 2020, Sophia connaissait le Marathon de réputation. « À Tokyo, je travaillais dans des foyers pour sans-abris et j’ai tout de suite cherché comment je pouvais me rendre utile à la communauté. » Elle s’inscrit très vite, mais on est en 2020… la pandémie. Ce sera donc pour 2021. « En famille ».
Pour Louis, 14 ans, c’est plus compliqué. « Lorsque ma mère m’en a parlé, je ne voyais pas trop ce qu’il fallait faire. Se mettre au bord de la route et encourager les coureurs ? Ça ne m’intéressait pas du tout. Et puis elle m’a dit qu’il fallait se lever à 6h, un dimanche… Et là, c’était carrément impossible. » Sa maman insiste. « Fais-le avec des copains. » Pourquoi pas ? D’autant que l’activité peut être comptabilisée dans le Community Service, ces heures que les enfants consacrent à la communauté. Louis s’inscrit avec son frère et sa sœur. Il entraîne même avec lui quelques copains.
« À Paris, le marathon, c’est plutôt le signal qu’il faut organiser son week-end pour, surtout, ne pas être là, s’amuse Angéline. Alors quand un ami m’a dit qu’il avait besoin de supporters pour encourager les coureurs sur le dernier kilomètre, l’un des plus difficiles, j’y suis vraiment allée pour lui faire plaisir ».
Pour Caroline, c’est tout le contraire : « Le dimanche du Marathon est le meilleur jour de l’année à vivre à New York. Surtout quand on ne court plus, comme moi. Je suis très fière de l’avoir bouclé plusieurs années de suite. Mais depuis que je suis volontaire, je n’ai même plus à subir les affres de la préparation. Ce n’est plus que du bonheur. »
6h donc. Le réveil sonne pour Louis et ses copains. Pour Sophia aussi qui doit prendre son poste à Harlem. Un peu de répit pour Perrine, Angéline et Caroline qui commenceront leur journée plus tard. New York est désert.
Tout de suite, Louis et Sophia sont surpris par la qualité de l’organisation. Rien n’est laissé au hasard. On distribue les badges, t-shirts et une sorte de poncho en plastique de couleurs vives.
Des « anciens » expliquent comment ça va se passer. Il fait froid. Rien ne se passera avant deux heures consacrées à l’empilement des verres d’eau ou de boissons énergisantes que les coureurs attraperont sans s’arrêter. L’ambiance est joyeuse. Les tables dressées, les poubelles prêtes. Le jour se lève. Louis s’amuse avec ses copains. Il ne regrette pas d’être venu.
L’équipe encadrante prévient : « Ils arrivent ! ». Les volontaires prennent position en bord de piste. « On est là, dans cette attente et on les voit. Ils sont handicapés, parfois sans jambes ou paralysés. Tout est dans leurs bras, raconte Sophia, les yeux embués. C’est bouleversant. Cette volonté, cette force, cette détermination pour avancer… J’en ai pleuré, plusieurs fois. »
Louis, lui, ne pleure pas, mais il est sidéré « Ils vont tellement vite ! Je n’en revenais pas. »
Viennent ensuite les Kényans, les coureurs les plus rapides au monde, grâce, force, souplesse et rapidité. « Avec des jambes de trois kilomètres, ces femmes incroyables de beauté, dans leurs petits débardeurs, comme ça. On a l’impression qu’elles courent sans effort. »
Dans les rues de New York, le reste de coureurs arrive, toujours plus nombreux. Les équipes s’activent. Louis reconnaît quelques professeurs de son école et les encourage. Un homme s’arrête pour embrasser sa femme venue le soutenir avec leur bébé. « Je ne pensais pas ressentir autant d’émotions, continue Sophia. On se sent utiles, liés à eux, à leur performance. En cinq heures, on mesure toute la diversité des coureurs, dont certains n’ont aucune des qualités physiques requises, mais qui s’accrochent, qui continuent, parfois jusqu’à dans la nuit, avec des couvertures sur les épaules. Toute l’humanité est là. »
Pour Louis, c’est sûr, un jour, il courra le marathon.
À plusieurs miles de là, Caroline, Perrine et Angéline accueillent les arrivées. Loin des encouragements timides de l’ancienne Parisienne, Angéline hurle à s’en casser la voix. Quelques coureurs puisent leur dernière énergie dans cette présence. D’autres s’effondrent à une poignée de mètres de l’arrivée.
On a chargé Perrine d’accrocher avec de l’adhésif la couverture dont on recouvre les coureurs pour éviter qu’ils ne prennent froid à leur arrivée. « Ce geste, tout simple, raconte Perrine, ils sont parfois tellement fatigués, qu’il leur est impossible de le faire. Alors, c’est à nous de refermer le ‘burrito’… » Comme Angéline, Perrine en perd la voix. « Et mon accent. À la fin de la journée, je ne savais même plus dans quelle langue je parlais. »
Caroline, elle, passe les médailles autour du cou de tous les participants. « C’est très physique. Parfois, les coureurs qui ne tenaient plus debout se sont effondrés dans mes bras. D’ailleurs, quand j’ai passé mon horrible poncho, je me suis demandé si c’était vraiment indispensable. Mais après avoir tenu contre moi autant de corps trempés de larmes, de transpiration et même de sang, j’ai cessé de me poser la question. »
« Certains coureurs sont déçus par leur performance. D’autres ont tellement souffert que leur visage en est bouleversant. Mais ils ont terminé le marathon de New York et, la plupart du temps, vous êtes devant une joie brute et sans filtre », conclut Perrine.
La nuit est venue. Sophia et sa famille sont de retour chez eux, mais ne veulent pas quitter le marathon : ils descendent encourager les derniers coureurs dans la nuit.