“Il n’y a plus de pains aux raisins ?!? Tout a été vendu ? Mais qu’est ce que je vais faire ?” Dans la grande salle du salon de thé Maison Danel, le désespoir de cette cliente résonne comme un cri du coeur, et témoigne de la place que cette enseigne française a su se faire malgré la pandémie.
Danel de Betelu et son mari David ont lancé Maison Danel le 17 février 2020. Un mois plus tard, le premier confinement les forçait à fermer leurs portes pour plusieurs mois. “Quand on a fermé, ce sont 350 réservations pour le salon de thé que nous avons dû annuler. Nous étions complets pour deux mois…”, rappelle non sans une certaine amertume Danel de Betelu. “Fermer Maison Danel? Mais c’était impensable, on venait à peine d’ouvrir…”
L’idée de ce salon de thé a germé dans l’esprit de Danel de Betelu et de son mari David il y a sept ans: “Nous adorons les salons de thé parisiens comme Angelina ou Ladurée, ou ceux de Vienne. San Francisco compte de très bonnes pâtisseries, mais il manque souvent le service qu’on attendrait dans ce genre d’endroit: on doit trouver sa table seul, se relever pour se servir un verre d’eau, débarrasser quand on a fini. Nous voulions offrir autre chose.” Le ton est donné dès qu’on pousse la porte de Maison Danel: un lustre digne de Versailles, des fauteuils recouverts de velours gris perle et des murs en briques apparentes. A la tête du restaurant français Baker Street Bistro dans Cow Hollow pendant des années, Danel et David de Betelu ont mis du temps à trouver l’endroit adéquat: “Je connais tous les locaux vides de San Francisco!“, plaisante le chef originaire de Biarritz. “En passant dans le quartier par hasard, j’ai découvert ce bâtiment. Le rez-de-chaussée était occupé par un marchand de cigarettes, un sex-shop et un pressing. Nous avons tout refait: électricité, eau, mise aux normes, installation de sanitaires, installer des sols. Maintenant, je vous construis une maison en trois coups de main!” Pour la décoration, Danel et David de Betelu ont pioché dans leur propre maison: leurs lampes de chevet trônent désormais dans le salon de thé, des gravures représentant leur mariage ornent les murs, et la mosaïque à l’entrée avec deux D entrelacés reprend le motif de leur faire-part. Un luxe qui tranche avec un quartier où les indigents sont légion: “J’espère participer au renouveau du quartier. J’ai passé dix ans à New York, et cet endroit me rappelle beaucoup Hell’s Kitchen avant que ça ne devienne un endroit branché.”
En cuisine et en salle, on peut presque parler d’une affaire de famille: Adrien Chabot, le chef pâtissier de Maison Danel, ancien élève chez Escoffier, est un ami de longue date des deux fondateurs: “Cela faisait des années qu’on parlait de ce projet“, explique Danel de Betelu. “Adrien nous a dit qu’il était prêt à tenter l’aventure, alors nous avons sponsorisé une carte verte pour lui et sa famille.” La femme d’Adrien Chabot règne sur la salle, et accueille les clients avec le sourire.
Face à la fermeture des restaurants moins d’un mois après le lancement du salon de thé, Maison Danel n’a d’autre choix que de se lancer dans la vente à emporter. “Nous sommes connus pour notre high tea, avec son assortiment de douceurs salées et sucrées. Je ne me voyais pas le proposer à emporter, c’est peut-être mon côté français qui ressort..”, plaisante Danel de Betelu. “Mon mari David m’a convaincu de mettre nos sandwiches et mini viennoiseries en boîte, et ça a fait un carton !” Le packaging y est pour beaucoup : des couleurs pastels, des boîtes qui s’ouvrent sur d’autres boîtes, façon poupées russes, avec le plaisir de découvrir ici des petits fours et là des petits sandwiches aux goûts variés, joliment disposés sur des dentelles…Les high tea à la maison ou dans un parc ont vite été adoptés par les clients. Pour Noël, ce sont plus de 200 high teas qui ont été commandés, ainsi que 250 bûches. “On a dû pousser les meubles pour avoir assez de place pour toutes ces boîtes ! Autant dire que nous avons passé de très bonnes fêtes, même si on ne s’est pas reposé un seul instant.”
Aujourd’hui, Maison Danel peut se vanter d’avoir survécu à une pandémie, mais non sans sacrifices : après douze ans à la tête de Baker street bistro dans la Marina, Danel de Betelu a définitivement tourné la page de ce restaurant pour se consacrer à son salon de thé. Le personnel en salle au salon de thé a été réduit, mais les clients ont le plaisir de discuter avec le chef plus souvent. “Le soutien des clients, voir les réguliers venir chaque jour, voir de nouveaux clients devenir au fil du temps des habitués, ça donne vraiment envie de continuer.” Après l’installation d’un “parklet” dans la ruelle adjacente et de quelques tables en terrasse devant l’établissement, le créateur de Maison Danel a repris goût à son entreprise : “Depuis deux mois, j’ouvre chaque matin avec le sourire. Nous avons triplé notre production de chaussons aux pommes, et nos clients ont fait du Paris-San Francisco et de la tarte au citron nos patisseries les plus demandées : le Paris San Francisco est une réinterprétation du Paris-Brest, tout en délicatesse avec une mousse noisette sur un biscuit au lieu de la traditionnelle pâte à choux.Je fourmille à nouveau d’idées pour proposer des nouveautés : on va sortir une gamme de chocolats, ainsi que des nouveaux gâteaux, comme les éclairs ou des financiers.” De quoi régaler les gourmands en quête d’un authentique salon de thé à la française en plein coeur de San Francisco.