C’est le genre de curiosité sur laquelle butent les traducteurs de livres et de séries télé. Pourquoi diable parle-t-on de « French exit » en langue anglaise, quand en France on utilise la bonne vieille expression « filer à l’anglaise » ? Les deux formules ont exactement la même signification : elles sont utilisées pour décrire une personne quittant les lieux de manière impromptue, sans prévenir, en douce.
Parmi toutes les définitions, c’est peut-être dans les paroles d’une chanson qu’il faut fouiller pour trouver la description la plus juste de cette expression. Dua Lipa, dans son album « Radical Optimism » paru l’an dernier, y a en effet consacré un titre entier, mettant en scène une personne fuyant une soirée en catimini pour ne pas blesser ce qu’on imagine être un ou une ex : « Un au revoir ne peut pas blesser si je ne le prononce pas, et j’espère que tu comprendras, la seule manière de partir est un French exit. » Le dernier couplet de la chanson mêle d’ailleurs les versions française et anglaise dans un même élan (« French exit, filer à l’anglaise »)…
« On parle effectivement de French exit pour décrire un départ à l’impromptu, quitter une réunion ou un événement sans rien dire à personne », confirme Kathleen Stein Smith, Chevalier dans l’Ordre des Palmes académiques et autrice de nombreux ouvrages sur les langues française et anglaise. « C’est assez drôle de voir que les deux cultures se sont mis ce comportement sur le dos l’une de l’autre à travers cette expression, poursuit-elle. Cela montre bien la rivalité qui existe entre ces deux cultures depuis des siècles. »
Car cette expression précède même la création des États-Unis, à une époque où la France et le Royaume-Uni se disputaient l’hégémonie en Europe et au-delà. « Au XVIIIe siècle, les Britanniques et les Français entretenaient des relations tendues mais qui s’amélioraient, chacun se moquant souvent des manières et des coutumes de l’autre », relève Claire-Marie Brisson, professeur de français au Department of Romance Languages & Literatures de l’Université Harvard.
« Le terme a été inventé pour caricaturer l’étiquette française ou son absence perçue !, poursuit-elle. Les Français ont répondu par filer à l’anglaise. » Il semblerait donc que les Anglais aient été les premiers à dégainer. On retrouve effectivement trace de « French exit » dans le « Oxford English Dictionnary » dès 1751.
Les Français vexés de se voir mettre sur le dos un comportement aussi peu sociable que celui de partir sans dire au revoir ? Il faut le croire. Le langage est souvent utilisé comme une arme culturelle et continue de l’être aujourd’hui. « Depuis quelques années, on parle de plus en plus d’Irish Goodbye, relève Claire-Marie Brisson. Ou encore de ghoster quelqu’un, un terme qui ne possède, lui, aucune implication culturelle. »
En 1923, Marcel Proust, dans le tome V (La Prisonnière) de À la recherche du temps perdu parle, lui, de « filer à l’anglaise ». Les traducteurs, évidemment, ont toujours traduit par French exit…