Les expatriés ont beau être prévenus, ce moment tant redouté arrive toujours plus vite que prévu. C’est quand leur aîné a eu 8 ans, que Leïla et son mari, installés depuis neuf ans à San Francisco, ont réalisé qu’il était temps de lui donner de « vrais » cours de français. Jusqu’ici, la question ne s’était pas posée. « Scolarisé à l’école américaine, Youri avait appris à lire le français tout seul, en même temps que l’anglais, grâce aux histoires du soir, raconte sa maman. C’est après la pandémie qu’on s’est posé la question de l’écriture, de la conjugaison et de l’orthographe. »
Le début d’un an de tâtonnements pour trouver la bonne formule et convaincre leur garçon récalcitrant. « Nous avons envisagé de le mettre au Lycée français, mais nous avons renoncé car cela représentait un énorme coût et il ne voulait pas quitter tous ses copains d’école. Je ne voulais pas non plus devenir la prof de mon enfant, car je savais que ça allait être la bagarre », explique la Française. Leïla, marquée par ses cours par correspondance à l’université, ne veut pas non plus infliger à son fils des cours à distance trop « rébarbatifs » afin de « ne pas le dégoûter du français. »
La famille opte finalement pour les classes en visioconférence « très interactives » d’Emilie Nolf (dont French Morning vous parlait ici). Des cours par niveaux, que Youri, 11 ans, peut suivre seul, deux fois par semaine, derrière son ordinateur. La formule idéale pour Leïla. Et s’il traîne encore les pieds, elle se félicite de ses progrès : « Il dit qu’il n’apprend rien, mais je vois à son écriture qu’il fait beaucoup moins de fautes. Avant, il écrivait en phonétique, là il conjugue, il comprend les temps. Et il trouve du plaisir à envoyer des cartes postales en français à sa famille, ce qu’il avait plus de gêne à faire avant. »
Comme elle, de nombreux Français installés aux États-Unis font de la transmission de leur langue maternelle une priorité. Pour préparer un retour dans le système scolaire français, maintenir la possibilité d’y étudier ou, plus fondamentalement, transmettre leur culture d’origine… Heureusement, les formules pour « maintenir » l’apprentissage du français, autrefois limitées à une poignée d’organismes, se sont aujourd’hui multipliées.
Dans une salle de classe ou derrière un écran, seul ou avec des petits francophones, en semaine ou le week-end, avec les parents ou un vrai professeur… En 2024, ceux qui ne peuvent pas (ou ne veulent pas) inscrire leurs enfants dans un onéreux Lycée français ou autre école bilingue disposent d’options variées, pour tous profils et budgets (liste non exhaustive dans cet article du site Devenir bilingue).
Naviguer sur cet océan n’en reste pas moins une aventure où l’on rame, avant de trouver son rythme de croisière. Arrivés aux États-Unis il y a bientôt dix ans, Elise et son mari, basés à Austin, ont toujours voulu que leurs trois filles soient « parfaitement bilingues dans les deux langues. » Mais avant de trouver leur bonheur avec OFALycée, ils ont testé le Cned, le cours Legendre et des classes du samedi matin.
« À l’époque, nous vivions à Fort Wayne, dans l’Indiana, et nous n’avions que le Cned comme possibilité, mais c’était très lourd, se souvient Elise. La deuxième année, nous avons suivi le cours Legendre, mais ce sont des programmes qui n’ont pas été conçus pour des enfants expatriés. Je préfère OFALycée. Ils vont plus à l’essentiel, leur formule est plus pratique, et même si ce n’est pas hyper détaillé, ça permet d’acquérir les bases pour passer le Bac et avoir un niveau correct en français. »
Quelle que soit la formule choisie, patience, rigueur et persévérance sont les clefs du succès. Car, pour des petits Français, apprendre la langue de Molière en parallèle de leur scolarité américaine a tout d’une corvée. « C’était un combat, ne cache pas Elise. Faire du français, ce n’est clairement pas ce qui passionne le plus mes filles. En terminale, étudier des textes de Rabelais en vieux français, ça leur passe au-dessus de la tête. Mais on ne leur a pas laissé le choix, on leur a imposé. »
Un effort pour les enfants… mais aussi pour leurs parents. En Géorgie, Emilie a choisi de donner des cours elle-même à ses deux enfants de 9 et 6 ans, afin de composer avec un budget serré. « On ne sait pas combien de temps on va rester ici, donc le jour où on voudra rentrer, c’est important qu’ils aient un minimum de bases, insiste-elle. On parle français à la maison, mais au bout de deux ans, ça devient compliqué. Ils mélangent les noms, les adjectifs, ils n’accordent pas, et basculent très vite vers l’anglais. »
Cette infirmière de formation, qui travaille dans une chocolaterie, doit « jongler » pour caser les cours de français dans un emploi du temps bien rempli. « Il y a des jours où ça ne roule pas tout seul, ne cache pas Emilie. On essaie de s’y mettre 15 minutes quand ils rentrent de l’école. Je leur laisse une demi-heure pour jouer dehors, et après je leur fais le français. Ça peut être une dictée, de la conjugaison… C’est un peu la corvée pour eux. Ils ont aussi des devoirs en anglais, donc ce n’est pas évident à gérer. »
Pas facile de s’improviser maîtresse, avec les manuels de grammaire, d’orthographe et de conjugaison récupérés lors de leur dernier passage en France. « Pour moi, ce qui est difficile, c’est de savoir si ma méthode est la bonne. Est-ce qu’ils ont acquis les bonnes choses ? Faut-il aller plus loin ? Même si je suis les programmes, je ne sais pas estimer leur niveau », reconnaît Emilie.
Au bout du tunnel, beaucoup de parents trouvent néanmoins la lumière. « Mes trois filles ont passé le Bac de français en candidat libre. Aujourd’hui, elles sont contentes d’être passées par là et de connaître la culture littéraire française », approuve Elise. Leïla non plus ne regrette pas d’avoir poussé son fils. Sa victoire ? Le voir dévorer des livres en français, dont sa chambre est remplie, comme les mangas One Piece, ou les BD Ariol, « l’humour qu’il ne retrouve qu’en France. »