Depuis qu’il s’est installé en Californie il y a maintenant 28 ans, Luc Julia a gardé le même look, celui de la mythique chemise hawaïenne. Derrière son physique décontracté et son ton affable, l’homme est une figure emblématique de la tech dans la Silicon Valley depuis plusieurs décennies, et il s’apprête à reprendre du service en France. Luc Julia vient en effet d’être nommé directeur scientifique de Renault. « J’ai tout de suite accroché avec le CEO de Renault (Luca de Meo). Il veut sortir l’entreprise de sa situation difficile par la technologie : la voiture autonome, l’interface homme-machine etc. C’est un challenge énorme mais c’est aussi très excitant », raconte l’intéressé.
Pour cet originaire de Toulouse, ce retour en France est une façon d’écrire la suite de l’histoire, lui qui avait quitté l’Hexagone au tout début de sa carrière, déçu par l’environnement cloisonné de la recherche au CNRS. En 1993, il décide de poursuivre sa thèse au MIT à Boston, mais il est rapidement échaudé par la météo. « Je suis habitué aux 40 degrés, Boston ce n’était pas pour moi ». Il contacte des personnes en Californie et arrive dans la Silicon Valley fin 1993. « Je suis arrivé à Xerox Park, ce lieu mythique où tout a été inventé. Je me suis retrouvé au milieu de tous ces gens que j’avais cités dans ma thèse, ils se parlaient tous et faisaient avancer le schmilblick ». Lui qui reproche l’esprit de concurrence à l’intérieur de la recherche française est séduit par l’émulation, l’esprit de collaboration et d’entreprise fondateurs de la Silicon Valley. Dans ce « chaudron mondial de l’innovation », il obtient la direction d’un laboratoire, le Computer Human Interaction Center. Il y invente la première voiture et le premier frigo connectés, et surtout The Assistant, l’assistant vocal qui sera repris sous le nom de Siri par Apple.
Après dix ans de recherche, Luc Julia décide au tournant des années 2000 de changer de vie et d’entrer dans l’univers des startups. Il crée plusieurs sociétés qui sont revendues, dont Nuance Communications qui se spécialise également dans la reconnaissance vocale. La suite de l’histoire est celle d’une success story à l’américaine : Nuance Communications entre en Bourse en 2000 et elle vient de faire l’objet d’une offre du géant Microsoft pour… 19,6 milliards de dollars. Une des plus grosses acquisitions du groupe américain, qui compte se diversifier dans la santé.
Dix ans de startups plus tard, Luc Julia décide de prendre sa retraite… mais cela ne durera que six semaines. L’hyperactif décide alors de s’orienter vers les grands groupes, entre chez HP pour lancer les premières imprimantes connectées. En 2011, Steve Jobs l’appelle ainsi que son cofondateur de The Assistant, Adam Cheyer, pour installer Siri chez Apple. Lorsque Steve Jobs disparaît, Luc Julia part chez Samsung, pour créer le cloud et connecter les objets produits par le groupe entre eux. « Samsung vend 1 milliard d’objets par an mais ne les avait pas connectés. Le président m’a donné carte blanche pour le faire, nous avions un labo dans la Silicon Valley et tout l’argent pour le faire ».
En 2016, il prend un break pour écrire le livre qui le taraude : « L’intelligence artificielle n’existe pas ». « Je voulais en finir avec cette fausse définition de l’IA, selon laquelle notre intelligence est augmentée par ces outils. Mais c’est comme un marteau, il peut servir à enfoncer un clou ou taper quelqu’un. Il faut juste la réguler, c’est pour ça que je suis favorable à la directive RGPD ». Il revient chez Samsung en 2017, et à la faveur de l’élection d’Emmanuel Macron, crée un centre de recherche en France. La pandémie a coupé court à cet effort, mais Luc Julia a décidé de continuer ses projets en France. L’objectif de cette nouvelle décennie est de rendre à la France tout ce qu’elle lui a donné, en particulier une éducation de haut niveau. « La création de la French Tech par Fleur Pellerin a apporté ce nouveau souffle dont la France avait besoin. Le mot entrepreneur retrouve ses origines françaises », sourit Luc Julia.