Les chemins qui mènent au roman sont parfois longs et tortueux, mais peuvent aussi être rapides et évidents. Les professionnels de l’écriture appellent cela « l’élément déclencheur ». Pour Mathieu Tazo, l’auteur de Une dernière chanson avant l’oubli paru cet automne aux éditions Daphnis et Chloé, l’idée de ce récit est née d’un quiproquo. Alors qu’il s’était préparé avec sa famille pour une virée dans les Catskills, une inconnue monte à l’arrière de sa voiture de location et demande : « Vous êtes mon Uber ? » Petit moment d’étonnement et puis la réponse, évidemment : « Non, ce n’est pas moi. » La femme quitte le véhicule. Et s’il avait dit oui ?
L’idée le travaille. Il faut dire que Mathieu Tazo n’en est pas à son premier essai. Français né à Toulon, mais expatrié depuis presque quinze ans à New York, il est l’auteur de trois autres romans. « L’élément déclencheur », il connaît. Et s’il avait dit oui ? Pendant le trajet qui les mène, son épouse, ses deux filles et lui vers leur destination, Mathieu Tazo élabore mentalement une première trame. Les personnages se dessinent lentement en même temps que l’intrigue. On fête alors les 50 ans du festival de Woodstock, rassemblement emblématique de la culture hippie des années 60. C’est décidé : Woodstock servira de décor, mais aussi, et surtout de contexte. Qui n’a jamais rêvé d’une vie plus libre, plus rock and roll ? « Je n’ai pas de nostalgie pour cette époque, explique l’auteur, mais beaucoup de tendresse. Si l’on fait abstraction des dérives comme les drogues ou les gourous, le phénomène hippie est porteur de nombreuses valeurs positives. » L’auteur voudrait-il faire passer un message ? « Je ne me positionne pas, mais oui, je suis convaincu que les plus belles aventures sont collectives. » L’ancien joueur de football de haut niveau ne s’est pas tout à fait effacé derrière l’écrivain.
Au côté de Lazare, le narrateur, broyé par la solitude de New York, contraint d’endosser, contre de l’argent, des rôles différents pour mieux se cacher, se dessine un autre personnage : Gloria, vieille dame charmante et joyeuse, qui n’a plus toute sa tête et n’attend qu’une chose, remonter sur scène avec son groupe de l’époque, les Sweetwater. « Pour moi, continue l’auteur, c’est elle le personnage principal. Celle qui fait le lien entre les générations. J’étais vraiment intéressé par cette question : que sont devenus ces jeunes de l’époque qui ont maintenant plus de 70 ans. Comment vivent-ils aujourd’hui leurs idéaux d’il y a cinquante ans ? » Autour de Gloria s’organise progressivement une petite famille improbable, de celle que l’on se trouve et qui ne nous est pas donnée, dont les membres sont tous animés par un même désir de liberté. « New York est parfait pour cela. La ville se prête bien aux jeux de rôle. »
Au premier rang, on découvre Jade, l’inconnue qui monte par erreur dans la voiture de Lazare. Swann le fils en manque de repères. David, le contrepoint de Gloria, celui qui a abandonné tous ses idéaux. « Comme la plupart des hippies, souligne Mathieu Tazo. Certains sont partis dans des fermes de l’Oregon, mais la plupart ont dû travailler. À travers ce récit, je voulais comprendre ce qui s’était passé, pourquoi ils avaient disparu. » Et puis, en guest, Ringo Starr. « Il a vraiment chanté lors des 50 ans du festival de Woodstock ! J’ai trouvé intéressant de mettre à profit cet élément de la réalité pour l’intégrer à l’histoire. À 80 ans passés, il incarnait très bien ce que cet anniversaire représentait: un regard nostalgique sur cette période lointaine d’une jeunesse pleine de rêves, alors que la vieillesse est maintenant là… » Le mouvement hippie a vite disparu, mais grâce à Dernière chanson avant l’oubli, Mathieu Tazeo nous en fait revivre le souvenir.
Une dernière chanson avant l’oubli de Mathieu Tazo. Éditions Daphnis et Chloé. Site ici