C’est certainement l’un des sujets qui suscite le plus d’incompréhensions entre la France et les États-Unis: la liberté d’expression. Mais cela ne fait pas peur aux organisateurs du festival transatlantique “Liberté d’expression, Free Speech and Cancel Culture”, qui se déroulera du 23 au 25 avril.
Monté par les Services culturels de l’Ambassade de France aux États-Unis, le French Institute Alliance Française (FIAF) et la Maison française de NYU, ce rendez-vous virtuel rassemblera une dizaine d’intervenants des deux côtés de l’Atlantique, dont la documentariste Caroline Fourest, l’auteur Thomas Chatterton Williams, la philosophe Manon Garcia et le rescapé de l’attentat de Charlie Hebdo Philippe Lançon. Pendant trois jours, les intervenants exploreront successivement différentes facettes de cette liberté, à travers les thèmes de la “religion” (le 23 avril), la “sexualité” (le 24) et la “race” (le 25).
“L’incompréhension franco-américaine sur ce sujet de la liberté d’expression tient à des visions différentes de ce qui constitue une culture unifiée et sur le rôle que devraient jouer les différences individuelles, qu’elles soient sexuelles, raciales, religieuses, dans une culture nationale“, résume Suzanne Nossel, la directrice de l’organisation PEN America, qui milite pour la liberté d’expression dans la littérature. Auteure du livre Dare to Speak: Defending Free Speech for All, elle ouvrira la première discussion du festival sur la religion et la laïcité.
Le festival se déroule sur fond de craintes en France et aux États-Unis sur l’état de la liberté d’expression. En juillet, près de 150 intellectuels, militants et journalistes se sont érigés dans une tribune publiée dans le magazine Harper’s contre l’émergence de la “cancel culture” à gauche après la mort de l’Afro-Américain George Floyd. Ce terme en vogue désigne les appels au boycott de personnalités ou d’entreprises dont les opinions sont jugées controversées. “L’échange libre des informations et des idées, qui est le moteur même des sociétés libérales, devient chaque jour plus limité. La censure, que l’on s’attendait plutôt à voir surgir du côté de la droite radicale, se répand largement aussi dans notre culture : intolérance à l’égard des opinions divergentes, goût pour l’humiliation publique et l’ostracisme, tendance à dissoudre des questions politiques complexes dans une certitude morale aveuglante“, ont fait valoir les signataires de la tribune, dont l’écrivain Salman Rushdie et le linguiste Noam Chomsky.
L’assassinat en octobre 2020 de Samuel Paty, un enseignant de région parisienne qui avait montré à ses élèves, quelques jours auparavant, les caricatures controversées de Charlie Hedbo sur l’islam, a relancé le débat sur les menaces qui planent sur la liberté d’expression en France. Aujourd’hui, une partie de la classe politique et intellectuelle française s’inquiète de l’arrivée de la “cancel culture” et des théories identitaires américaines sur la race et le genre dans les milieux universitaires. Le débat est tel que le New York Times est allé jusqu’à se demander en février si “les idées américaines (allaient) déchirer la France“. “Il y a des levées de bouclier dans les deux pays, observe Suzanne Nossel. C’est la conséquence de la crainte d’une perte de privilèges et de l’inquiétude réelle que certaines idées seront supprimées ou que des opinions ne seront plus reconnues comme acceptables“.
Suzanne Nossel a constaté à son niveau la difficulté d’accorder Français et Américains sur le sujet. En 2015, la décision de PEN America de remettre un prix aux journalistes de Charlie Hebdo avait conduit six de ses membres à boycotter son gala. L’un des contestataires a mis en avant “l’intolérance culturelle” du journal satirique pour justifier sa décision.
Si la directrice de PEN America est inquiète pour l’état de la liberté d’expression aux États-Unis, où “elle est mal vue au sein des jeunes générations, qui l’associent à quelque chose qui les offense“, elle se dit “extrêmement alarmée” par la décapitation de Samuel Paty en France. “C’est l’illustration de la colère et de l’extrémisme qui habite ce débat, estime-t-elle. Mais c’est aussi une erreur de mettre en cause tous les musulmans“.
France ou États-Unis, il “n’est pas possible d’enfermer à jamais ces questions, religieuses, raciales ou autres, dans une boîte. Elles concernent des parties importantes de la population, en particulier des jeunes qui joueront demain un rôle dans les médias, la politique et les cercles professionnels. Nous devons apprendre à leur donner une voix sans pour autant compromettre les principes libéraux qui gouvernent l’échange des idées“.