Ils ne sont pas venus à New York pour travailler dans la finance, ni sortir dans les clubs, ni vivre le rêve américain. Non, ils sont plutôt venus en explorer l’envers. L’Amérique qui souffre, l’Amérique qui a faim : voilà le quotidien des jeunes de Point Cœur. Fondée il y a 18 ans par le père Thierry de Roucy, cette association catholique destinée à promouvoir une «culture de la compassion» dans les endroits défavorisés de la planète, a ouvert son premier centre nord-américain en 2004, dans le Bronx. La « maison » vient tout juste de déménager à Fort Green, un quartier de Brooklyn, et compte aujourd’hui sept membres : un futur prêtre, 2 religieuses, 2 laïques consacrées, et 2 volontaires.
Leur mission : aller à la rencontre des pauvres, accompagner les malades en fin de vie, mais aussi soigner une misère plus cachée. «Un jour, Mère Teresa a dit que New York est la ville qui a le plus besoin de compassion sur cette terre. C’est ce qui nous a poussés à venir», affirme Gonzague Leroux, qui sera ordonné prêtre l’année prochaine et supervise la vie de la maison. «Ici, on peut rencontrer des gens qui gagnent 500 000 dollars par an mais qui sont terriblement pauvres. Ils ont l’impression d’être dans un tunnel, ils n’ont aucunes relations sociales. Ils n’ont jamais allumé leur gazinière une seule fois pour se faire un café», poursuit-il.
Marie-Mai Rondreux, 31 ans, fait partie des ces jeunes volontaires qui, aux quatre coins du monde, se sont engagés auprès de Point Cœur pour une mission de quatorze mois. Ce petit bout de femme travaillait en tant qu’agent de réservation pour une chaîne hôtelière à Paris. Mais au fil des ans, explique-t-elle, «je sentais que quelque chose manquait dans ma vie ; je ne voyais pas vraiment de sens à tout cela.» Puis elle a fait la découverte de Point Cœur. «J’ai alors réalisé que vivre auprès des pauvres et des malades pour leur offrir de l’amour et de l’amitié était ce que je recherchais profondément.»
Il y a six mois, elle a quitté son job pour faire le grand saut. Adieu, confort parisien et vie de bureau. Dans le Bronx, elle a vite été mise au parfum. L’une de ses missions consistait à rendre visite aux malades du Sida et aux drogués du quartier. Avec certains de ces patients, une véritable amitié s’est créée. «Je pense notamment à Wendy, une femme que j’ai rencontrée a l’hôpital. Elle a quarante ans, elle est alitée et a subi une trachéotomie pour pouvoir respirer. Quand je suis entrée dans sa chambre pour la première fois, elle m’a tout de suite souri et la douceur de son visage m’a touchée.»
L’histoire de Wendy est difficile à entendre. Elle a eu trois enfants, dont l’aîné se bat sur le front irakien. Sa fille est morte à l’âge de sept ans. Quant à son plus jeune fils, il souffre d’un cancer et a subi une greffe de la moelle épinière. Récemment, les docteurs ont annoncé à Wendy qu’il ne lui restait plus que deux mois à vivre. Marie-Mai était là, et ce jour-là, dit-elle, «j’ai vraiment compris le sens de ma présence ici. Face à sa situation désespérée, il n’y avait pas grand-chose que je pusse faire, si ce n’est l’écouter, lui prendre la main et l’embrasser. Malgré sa souffrance, Wendy m’a souri et m’a remerciée. Depuis, je crois vraiment que donner du temps, de la compassion et de l’amour à ceux qui souffrent peut faire une différence.»
Une mission pas toujours facile à mener à New York, temple de la réussite, de l’argent et de la fête. «J’adore vivre ici, il y a une dynamique énorme, mais pour la prêtrise, ce n’est pas très encourageant», avoue Gonzague Leroux, 34 ans, qui œuvrait auparavant pour Point Cœur au Kazakhstan. «Ici, je me suis souvent entendu dire : “C’est dommage que tu sois prêtre”. Dans un monde où tout est organisé autour du compte bancaire, les gens ne comprennent pas forcément mon choix.»
Pour se faire une petite idée du travail et de la mission des jeunes de Point Cœur, la maison de Brooklyn fera portes-ouvertes 9 au 11 mai ainsi que du 13-15 juin prochains. Curieux ou engagés, tous sont les bienvenus. L’association organise également des journées de séminaires et de retraite sur le thème de la compassion à Ellenville, à une heure et demie de New York, en présence du père de Roucy. Dépaysement garanti.