Les taux de change font en général les délices des économistes qui consacrent beaucoup de temps à leur impact sur la croissance, les exportations, les importations, les mouvements de capitaux. À HEC au début des années 2000, nous avions déjà en majeure économie un cours spécialisé sur le sujet, en anglais, à forte orientation salle de marchés. Mais pour les expatriés français aux États-Unis et les binationaux, qu’ils aient toujours du patrimoine en France/zone euro ou non, ces taux de change ne sont pas qu’un sujet financier ésotérique. Le taux euro/dollar régit nombre de leurs décisions d’investissement et d’épargne, leur quotidien, celui aussi de leurs vacances en Europe ou même des visites de leur famille aux États Unis.
Alors que récemment, la monnaie européenne touchait un point bas en dix ans à près de 1 euro pour 1,03 dollar, mes parents me faisaient remarquer que lors de leur premier voyage pour me rendre visite aux États Unis, à la fin de l’été 2003, le taux de change était à ce même niveau. En effet, après le lancement de l’euro à un cours inférieur au dollar dans les années 90 durant mes premières années aux États-Unis, jusqu’à la crise financière, nous avions tendance, modulo les frais de transaction, à valoriser un dollar pour un euro dans la vie quotidienne. Il y avait du coup peu d’arbitrages possibles au niveau patrimonial entre les deux pays.
Lors de la crise financière, pendant deux ans, la confiance en l’économie américaine s’est écroulée et, à un certain point, l’euro s’était envolé à 1,60$. Passer Noël en Europe, pour nous expatriés français, devenait onéreux, surtout que beaucoup d’entre-nous perdions nos emplois ou se sentaient menacés, particulièrement dans les secteurs bancaire, financier et immobilier. À l’inverse, nos amis et familles se sentaient subitement pousser des ailes pour venir régulièrement nous rendre visite. Malgré la différence de pouvoir d’achat, de richesse et de salaires entre les deux continents, globalement entre 2008 et 2012, le taux de change compensait tout cela.
Les expériences monétaires de quantitative easing et création monétaire, des deux côtés de l’Atlantique, et encore plus d’hélicoptère monétaire lors du Covid, ont finalement aplati la volatilité du cours de change au cours des dix dernières années. Dans les affaires ou pour les vacances, nous nous sommes habitués, peu ou prou, à un taux d’équilibre de 1 euro pour 1,2 dollar. Assez pratique pour le calcul mental, ce taux a permis à des Français installés aux États-Unis de participer encore, par exemple, au boom immobilier français et, à des entreprises françaises, de recruter et investir aux États-Unis. En tout cas, jamais le taux de change n’a été cité comme obstacle.
Cette situation a changé au cours des dernières années, avec un équilibre rompu en faveur des expatriés français installés sur le sol américain. D’abord, si la poussée inflationniste a fait rage des deux côtés de l’Atlantique en 2022 et 2023, la progression des salaires fut plus importante aux États-Unis. Mais surtout la chute continue de l’euro, sur fond de détérioration économique du continent, a donné aux Américains et aux Français expatriés visitant la France un surcroît de 20% de pouvoir d’achat. L’Europe est devenue une destination peu onéreuse pour les Américains, alors que les États-Unis (devenue une des destinations préférées des Français au cours des 10 dernières années, notamment New York) paraissent hors de portée désormais pour une famille française.
Avoir un patrimoine ou des économies en euros n’est plus un atout important pour faire des affaires ou s’installer aux États-Unis, en tout cas le bas de laine fond beaucoup plus rapidement que lors de la dernière décennie. Alors, peut-on s’attendre à un changement en 2025 ? Je suis loin d’être un spécialiste de la détermination des taux de change (malgré ce vieux cours à HEC !) mais cette année, du fait de la croissance atone de l’Europe, Christine Lagarde va continuer à baisser les taux d’intérêt, ce qui déprécie en théorie la monnaie. Jerome Powell aux États-Unis a prévu d’arrêter rapidement la baisse des taux actuelle, alors que la croissance est attendue à 2,7% (vs 0,9% zone euro). Avec une croissance trois fois plus forte et des capitaux qui rejoignent tous la zone dollar, à moins d’une forte pression de Donald Trump sur la Fed pour baisser les taux, l’année 2025 est clairement en faveur du dollar, qui devrait rapidement, au moins en début d’année, s’approcher de la parité.
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À propos de l’auteur : Sébastien Laye est un économiste et entrepreneur français et américain.