Jouer du Albert Camus en français aux Etats-Unis, c’est ambitieux. Et d’autant plus quand il s’agit d’une pièce méconnue du grand public comme “L’Etat de siège”. Mais cela n’effraie pas Emmanuel Demarcy-Mota, le metteur en scène du Théâtre de la Ville, qui présente cette pièce du vendredi 20 octobre au samedi 11 novembre à Berkeley, Los Angeles, New York et Boston.
Après avoir exporté aux Etats-Unis “Rhinocéros” d’Ionesco en 2012 et “Six personnages en quête d’auteur” de Luigi Pirandello en 2014, Emmanuel Demarcy-Mota est heureux de véhiculer la “parole de Camus“. Écrite en 1948, cette pièce dénonce le fascisme, et plus généralement les totalitarismes, mais cible particulièrement la dictature de Franco. Une ville d’Andalousie est plongée dans la terreur avec l’arrivée d’une maladie, la peste. Incarnée par un homme ambitieux, cette peste oblige à instaurer l’état de siège, ce qui apporte l’ordre et la surveillance. La terreur s’installe jusqu’à ce que la révolte, incarnée par Diego, s’organise.
Décrite comme “une prière de rage“, cette pièce révèle la jeunesse face à un monde en changement, et rappelle “qu’il faut lutter contre la peur“. “Dans les moments d’espoir, souvent la peste revient. Il faut rester vigilant“, assure le metteur en scène franco-portugais, sa phrase sonnant comme une métaphore de l’élection américaine. “Dans “L’Etat de siège”, Camus dit qu’il ne suffit pas de connaître la maladie, mais aussi la guérir. Il faut croire en l’homme, en ses passions, en ses rêves et se méfier d’un siècle où nous sommes restés dans la polémique, qui a remplacé le dialogue“.
Au-delà du message, très actuel, il lui paraissait urgent de rappeler les liens forts entre Camus et les Etats-Unis, dont son discours aux Nations Unies pour réclamer l’abolition de la peine de mort.
Créer des ponts culturels
Jouée par 16 acteurs en français une centaine de fois, “L’Etat de siège” est surtitrée en anglais (sur des écrans), pour être adaptée à un public américain. “J’aime que les pièces circulent, cette dimension internationale fait partie de ce qu’est le théâtre.” Cette performance offre une riche dimension sonore et visuelle, avec un décor d’arène, une atmosphère lumineuse et des vidéos intégrées (images de vidéo surveillance et de paysages poétiques).
Grâce à d’excellentes relations avec la direction du Brooklyn Academy of Music (BAM) à New York, Emmanuel Demarcy-Mota a su tisser des partenariats précieux avec de nombreux théâtres américains. “Les spectacles ont du succès, les directeurs de théâtre ont réuni les moyens financiers pour nous inviter“.
Et, pour “construire des autoroutes culturelles et artistiques de ville à ville”, il a mis en place des partenariats, comme le programme The Brooklyn/Paris Exchange qui permet d’accueillir des artistes français à New York, et inversement. Et, après l’avoir expérimenté avec Chicago, il planche sur une collaboration avec Detroit. “Je veux travailler à l’effacement des frontières alors que certains présidents rêvent de les rallonger, dit-il. Je fais des ponts contre les murs, c’est ce qui me fait vivre.”