Alignés sur le terre-plein central de Park Avenue entre les 34e et 38e rues, dépassés de chaque côté par des milliers d’automobilistes pressés, ils semblent en mouvement, tournés vers un but imaginaire, imperméables à l’agitation urbaine. Qui sont « les voyageurs », ces impressionnantes silhouettes de métal de 3 mètres de haut apparues en plein cœur de la City début de l’été ?
Ces sculptures sont l’œuvre de Bruno Catalano, un sculpteur drômois reconnu internationalement qui expose pour la première fois son travail impressionnant aux États-Unis. Neuf voyageurs à l’allure étrange, presque inquiétante. Moins par leur dimension que par leur silhouette qu’on croirait déchirée. Le buste flotte au-dessus des jambes comme par miracle, laissant entrevoir la ville, les arbres à travers ces corps de bronze écorchés dirigés vers une destination inconnue, quelque part entre le passé et le présent peut-être.
Ces hommes de bronze, torse nu et jeans, ou tee-shirt sous une veste, mocassins ou en baskets aux pieds, portent tous un bagage, lien entre la tête qui pense et les pieds qui marchent. « Chacun de ces voyageurs déchirés, c’est moi, explique Bruno Catalano. Mais c’est aussi chacun de nous. Ils représentent le déracinement originel que j’ai subi à 10 ans quand mes parents et moi avons quitté le Maroc. Ils représentent chacune des bonnes expériences, bonnes ou mauvaises, que la vie a mis sur mon chemin. Ils représentent des corps qui souffrent et c’est mon âme torturée qui parle ici. »
Avant d’être sculpteur, Bruno Catalano a eu mille vies. Né à Khouribga au Maroc en 1960, il a dix ans lorsqu’il quitte sa terre natale pour venir s’établir à Marseille. Il occupe un poste d’électricien puis part en mer pour travailler sur des bateaux. « Mais je savais au fond de moi que mes mains étaient plus intelligentes que ma tête et allaient me mener vers la vie d’artiste. J’ai toujours voulu créer », se souvient le sculpteur de 63 ans. En 2004 lors d’un accident de coulée de bronze, une brèche se crée dans son œuvre. L’artiste décide alors de faire de cette déchirure un élément central de ses créations. Les voyageurs étaient nés.
L’effet miroir de ces personnages fonctionne à plein régime et donne matière à réflexion. Ces voyageurs, ce sont nous, ce sont les différentes facettes de leur créateur, ce sont aussi une métaphore de l’histoire de l’immigration. Et quelle ville plus adaptée que New York pour représenter le voyage et le melting-pot, thèmes chers à ce sculpteur hors-normes ? « Être exposé ici, c’est une consécration. New York, c’est le carrefour des cultures, c’est le voyage mais c’est aussi la dureté de la vie. J’adore la mixité de cette cité, ça me rappelle Marseille ».
L’exposition des Voyageurs de Bruno Catalano sera visible sur Park Avenue jusqu’en mai 2025.