On a beau se dire que c’est bien mieux pour la planète, c’est quand même un peu frustrant. La paille en carton qui ramollit dans le mojito, se plie, et laisse un goût de papier mâché dans la bouche. Dans les villes américaines où les pailles en plastique sont interdites, les propriétaires de bars et de restaurants tentent de trouver le produit miracle, entre les pailles réutilisables en bambou, inox, verre ou silicone et celles, à la pomme, qui se croquent. Bientôt, ils pourront opter pour les pailles made in France en canne à sucre. Plus exactement en bagasse, la fibre résiduelle de la canne à sucre une fois pressée et extraite de son jus. Une paille qui « ne fond ni dans la bouche ni dans le verre, ne laisse aucun goût et se dégrade en trois mois », assure Pierre Thomas, le co-fondateur de l’entreprise Les Nouvelles Pailles qui a remporté le prix du jury et celui du public des Germinators, concours de start-up fondé par Ariane Daguin et organisé par la Chambre de commerce franco-américaine (FACC) de New York, le 26 juin dernier.
Une promesse bien séduisante. L’entreprise parisienne, lancée avec un million d’euros en fonds propres, a vu son activité exploser l’an dernier après l’interdiction des pailles jetables en plastique en France. « Au départ, quand on a commencé en 2020, nous étions importateurs et distributeurs de produits issus de la canne à sucre, explique Pierre Thomas, qui s’est lancé dans l’entrepreneuriat avec deux amis, Brice Gallon et Jean-Philippe Teilhol, après huit années passées chez Danone. Le secteur de la canne à sucre produit des déchets en énorme quantité, et c’est ce qui nous intéressait. » Deux ans plus tard, les trois associés décident de passer côté industrie et de créer leurs produits dans leur usine de production à Aurec-sur-Loire, en Haute-Loire.
Aujourd’hui, la start-up produit un million de pailles par jour et fournit de grands groupes du secteur CHR (Café, Hôtel et Restaurant) comme Accor, Paris Society, La société des bains de mer à Monaco, et des distributeurs tels que Chomette, Cercle Vert, Pomona… « Notre marché est celui du haut de gamme, précise l’entrepreneur de 31 ans, nous sommes en France, dans une douzaine de pays en Europe et, depuis peu, aux Émirats Arabes Unis. »
La matière première vient essentiellement du Vietnam, gros fournisseur de bagasse. Ce résidu de canne à sucre entre pour moitié dans la composition des pailles, auquel sont ajoutés des matières minérales et du lubrifiant naturel entièrement biodégradables et biosourcés, selon l’entreprise, qui a obtenu, pour ses pailles, le label « OK compost home » certifié par l’organisme international TÜV Austria. Pour le décrocher, un produit doit pouvoir se désagréger en 6 mois maximum. « Nos pailles, c’est en 3 mois, dans un compost domestique à 28ºC », souligne Pierre Thomas, fier de la solidité de son produit. La paille résiste au lave-vaisselle, « ne bouge pas après 30 lavages, renchérissait Jean-Philippe Teilhol, le co-associé chargé de la production, lors de la soirée des Germinators. J’ai même testé jusqu’à 50 lavages… après j’ai fini par arrêter ! »
Prochaine étape donc, les États-Unis et son énorme marché. Les Américains consommeraient 500 millions de pailles par jour, selon l’organisation américaine de recyclage Eco-Cycle (comparativement, les Français en consomment 6 à 8 millions par jour), soit 10% du marché mondial de la paille estimé à 20 milliards de dollars par an. « Même si on n’en récupère que 1%, ça fait 5 millions de pailles par jour ! » constate Pierre Thomas. Une dizaine d’États américains ont déjà interdit les pailles en plastiques dont la Californie (depuis 2018), New York, le New Jersey ou des villes comme Washington et Miami, cette dernière particulièrement ciblée pour sa « très grosse concentration de consommation. »
« On souhaite aller doucement sur le marché américain. On cherche un distributeur sur place. Si on voit qu’il y a un vrai intérêt pour notre produit, il faudra qu’on produise sur place, qu’on monte une usine via des investisseurs. » Une prudence pour éviter la rupture d’approvisionnement, le cauchemar de l’entrepreneur « Rien n’est pire pour une entreprise que de ne pas pouvoir livrer un client. C’est très nuisible en terme de réputation », explique encore Pierre Thomas qui en a fait la douloureuse expérience l’an dernier. « On est aujourd’hui très réactifs, capables de répondre en quelques heures seulement à une rupture de stocks signalée chez n’importe quel client. »
La fabrication de la paille en bagasse coûte deux fois plus cher qu’une en papier (respectivement 3 centimes d’euro contre 2 centimes, alors que la paille en plastique revient à 1 centime), « mais elle est bien plus résistante donc au final, on en utilise moins », rétorque Pierre Thomas, qui ne compte pas s’arrêter aux pailles. Son entreprise s’apprête à lancer sur le marché européen des couverts en bagasse, ce qui devrait permettre, selon les projections des trois associés, d’atteindre 3 millions d’euros de chiffres d’affaires cette année, 4 millions voire 5 millions fin 2024. Ils veulent surtout garder la tête froide face au succès rapide des Nouvelles Pailles. « On veut conquérir le marché américain, mais on veut être bien conseillés et préparés ». Avec un nouveau nom… que les Américains pourront prononcer !