Philippe Roger est professeur à l’école des hautes études en sciences sociales. En 2002, il a publié L’ennemi américain. Généalogie de l’antiaméricanisme français. Invité par la Maison Française le 8 novembre, il sera au Florence Gould Hall pour une conférence exceptionnelle. Avant la visite officielle du président français à Washington, French Morning l’a interrogé.
En mai 2007, 15% des Français ont déclarés éprouver de l’antipathie à l’égard des Etats-Unis. Ce chiffre vous surprend-t-il ?
Ce chiffre n’est pas représentatif car la formule est trop violente. «Est-ce que vous aimez ou pas les Etats-Unis ?», ce n’est pas comme ça que cela se joue. Il aurait fallu une question plus précise. Cela dit, je trouve ce chiffre de 15% énorme. Ce n’est pas facile de dire «je déteste» et très peu de gens en général osent afficher leur détestation.
Nicolas Sarkozy, dans sa dernière interview au New York Times, a déclaré que seulement «une petite partie des élites françaises professe un antiaméricanisme qui ne correspond en rien à ce que pense le peuple français». Êtes-vous d’accord avec lui ?
Le président français n’a pas totalement tort. Dans la tradition française, plus l’on est diplômé ou plus le revenu est élevé, plus l’antiaméricanisme est fort. L’antiaméricanisme date du XIXe siècle et il est une invention de l’intelligentsia française. Venu de la droite, il a rapidement fait l’objet d’un consensus avec la gauche. Cependant, le reste de la population l’est dans une moindre mesure.
En France, l’antiaméricanisme culturel a assez peu bougé depuis les années 1900-1920. L’idée d’une compétition injuste et la représentation de l’Amérique comme un monstre tentaculaire perdure depuis ce temps là. Le débat n’a été ouvert qu’en 2002. Avant, il y avait une véritable volonté française de ne pas reconnaître qu’il y avait un problème.
Finalement, c’est quoi l’«antiaméricanisme» selon vous?
J’estime qu’être antiaméricain c’est détester les Américains plus qu’ils ne le méritent. Cela dépasse l’entendement rationnel. En France, le pic d’hostilité a été atteint durant les années Clinton, autour du thème de la globalisation puis à nouveau au plus fort de la guerre en Irak. D’ailleurs, lors du French bashing en 2003, les Français n’ont pas compris la réaction des Américains car ils ne les détestaient pas plus que d’ordinaire.
En France, l’antiaméricanisme relève de la tradition, il se transmet de génération en génération sans jamais être analysé. Ce sentiment fait partie de notre identité à un tel point que bon nombre de français ne se rendent même plus compte de la vision caricaturale et déformée qu’ils peuvent avoir des Etats-Unis. Par exemple, 80 à 90% des reportages sur les Etats-Unis sont de l’ordre du négatif ou du stéréotype. Aujourd’hui encore, j’entends parler de la pièce de monnaie dans le verre de coca. C’est de l’antiaméricanisme pavlovien.
Les Français ne détestent pas les Américains en particulier et leurs discours ne comportent pas d’agressivité. Mais, ils ont surtout une vision synthétique, en bloc des Etats-Unis, plutôt que de faire un tri entre le bon et le mauvais dans différents domaines.
Y a-t-il eu un revirement de l’opinion française sur la question des Etats-Unis depuis l’élection de Nicolas Sarkozy ?
Je ne crois pas aux changements brutaux et pour cette raison je ne crois pas que les Français soient devenus proaméricains.
La politique étrangère a été la grande absente de la campagne présidentielle. Sarkozy lui-même s’est bien gardé de faire des déclarations sur le sujet et il apparaissait dans le mainstream. On peut dire que pour la première fois en France, un président s’est fait élire en dépit d’une image proaméricaine. Ou plutôt, il est intéressant de constater que son rapport à l’Amérique ne l’a pas desservi, contrairement à Michel Rocard qui avait été taxé de l’image de gauche américaine et qui s’en était trouvé sérieusement desservi.
Il ne faut pas mélanger antiaméricanisme, qui est une donnée culturelle vieille de 200 ans et appréciation de la politique américaine
Quel crédit accorder à la presse américaine qui ne cesse de vanter cette France «qui apprend enfin à dire oui» ?
A bien y regarder le personnel du Ministère des Affaires étrangères est resté le même et il n’y a pas de grands changements sur les dossiers. Sur la question de l’Iran par exemple le Quai d’Orsay n’a jamais modifié son orientation. En revanche, le ton a été modifié, ce qui n’est pas dénué d’importance en diplomatie. Un changement de rhétorique permet surtout d’être perçu différemment par le monde extérieur. Cela interpelle, trouble. Je garde dans un coin de ma mémoire cette phrase de Nicolas Sarkozy : «je crois aux symboles». Or, un symbole est parfois une manière de donner l’impression que l’on change beaucoup toute suite. Le franc parler en diplomatie n’a pas beaucoup de sens. J’attends de voir la suite.
“L’Invention littéraire du maître à penser et l’anti-intellectualisme
à la française” par Philippe Roger, le 8 novembre à la Maison Française, 16 Washington Mews (entre University Place et 5ème avenue). Tel: 212 998 87 50.
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Le titre de votre article, volontairmement provocant ne représente pas l’ensemble de l’article qui est une analyse fine de l’antiaméricanisme français. Voilà une manifestation d’antiaméricanisme français latent ! On ne met en évidence que la partie négative de la relation franco-américaine….