Le quartier de Fort Greene a la chance d’accueillir une boulangerie artisanale depuis le 15 septembre. Et si le nom de l’enseigne, La Bicyclette, vous dit quelque chose, c’est parce qu’elle est tout simplement la petite sœur du premier magasin ouvert par Florent Andreytchenko à Williamsburg. « Ça faisait sens d’ouvrir là-bas, dans un quartier où il n’y a pas grand chose. La motivation n’est pas l’argent mais de faire plaisir aux gens en leur amenant du bon pain autour de chez eux », résume le Français de 32 ans qui a investi les locaux du bar à vin Petit Paulette, ouvert uniquement le soir à côté du restaurant Café Paulette.
Yann Ledoux est également un boulanger réputé à New York puisqu’il a été le manager en charge de la production de l’enseigne Maison Kayser de 2012 à 2020. Reconnu pour son savoir faire, il a remporté plusieurs prix avec son précédent employeur dont celui du meilleur pain au chocolat en 2018, et celui de la meilleure baguette en 2019. « On a grandi très vite avec de nombreuses ouvertures de boutiques, mais les frais ont grossi tout aussi vite et ce n’était plus tenable », confiait Yann Ledoux en mars pour expliquer son départ de chez Kayser. Le Français de 36 ans s’est lancé à son compte le 14 juin en ouvrant Bread Story à East Village. Comme à La Bicyclette, le boulanger propose des produits artisanaux « comme on les connaît en France », passés par ses mains, et présentés « à des prix accessibles ».
Ancien chef pâtissier de François Payard à Greenwich Village, Julien Khalaf a, quant à lui, ouvert Julien Boulangerie à Park Slope en janvier, avant d’ouvrir une deuxième adresse dans l’Upper East Side, qui sera suivie très bientôt par une troisième dans le même quartier de Manhattan.
L’histoire de L’Appartement 4F est tout aussi belle. Ingénieur pour une entreprise de logiciel à New York, Gautier Coiffard a commencé à faire son propre pain à la maison quelques semaines avant le début de la pandémie. « C’était tellement délicieux que je me suis dit qu’on pourrait en vendre autour de nous, à nos amis et collègues de travail », raconte sa femme Ashley Breest. Quelques mois plus tard, dépassé par les nombreuses commandes de pains et viennoiseries, le couple a décidé d’ouvrir un local à Brooklyn Heights. Les travaux doivent démarrer ces jours-ci et l’enseigne devrait pouvoir accueillir des clients d’ici à la fin de l’année.
La fermeture de Maison Kayser a créé des vocations
La malheur des uns fait parfois le bonheur des autres. Véritable institution, la chaîne de boulangerie d’Eric Kayser a beaucoup souffert de la fermeture des commerces pendant la pandémie et avait choisi de ne pas rouvrir ses terrasses à l’été 2020. Le groupe, qui possédait 16 boulangeries, s’est finalement déclaré en faillite en septembre l’année dernière avant d’être racheté par son concurrent Le Pain Quotidien. « Nos clients nous ont clairement dit qu’ils viendraient chez nous si on ouvrait une boulangerie puisque Kayser a fermé juste à côté, à Downtown Brooklyn, confie Gautier Coiffard. La Brooklyn Heights Association (association de riverains) nous voulait vraiment dans leur quartier. Ils nous ont énormément aidés, que ce soit pour trouver des investisseurs ou le local. »
« J’ai fait pas mal de consulting après mon départ de Kayser, puis j’ai eu mon premier enfant en avril 2020. C’était le bon moment de prendre du temps pour moi et ma famille », expliquait Yann Ledoux en mars. Le boulanger a mûri l’idée de se lancer en août l’année dernière, avant de trouver le local parfait en décembre. « Je suis tombé amoureux de la communauté de Stuyvesant Town où j’ai emménagé. Il y a une vraie vie de quartier, tout le monde connaît ses voisins », commente-t-il. « J’ai trouvé un local sur 1st Ave et 16th St, à la place de Paris Baguette qui venait de fermer. Je me suis dit que c’était l’endroit idéal pour ouvrir une boulangerie pour cette communauté qui a besoin de bon pain. »
Florent Andreytchenko n’aime pas comparer les chaînes comme Maison Kayser aux boulangeries artisanales comme la sienne. Mais il concède que la faillite du groupe a sûrement permis d’émerger à de nouveaux boulangers. « Kayser, c’est aussi la chute d’un modèle industriel. Je pense que beaucoup d’artisans ont pris confiance pour se lancer. Et ils ont vu l’opportunité de changer le modèle économique à New York en proposant des produits faits à la main sur place. »
Créer du lien pendant la pandémie
Gautier Coiffard l’avoue, il ne se serait jamais lancé sans la pandémie. « On a commencé 100% en ligne, avec un service de livraison gratuite dans le quartier. Ça a tout de suite marché, explique-t-il. Lors du confinement, les gens avaient besoin de garder du lien social. Pour donner un exemple, l’un de nos meilleurs clients était un couple qui n’est jamais sorti de chez lui pendant un an à cause de conditions de comorbidité. On leur apportait tout à domicile, petit-déjeuner mais aussi jambon, fromage… »
La Bicyclette Bakery a de son côté eu la chance de pouvoir rester ouverte malgré le Covid. « Les chaînes voisines comme Dunkin ont fermé, mais pas nous, raconte Florent Andreytchenko. J’ai assuré des horaires réguliers toutes les semaines pendant la pandémie. Les gens ont pris l’habitude de venir. La clé, c’est la durabilité. Quand les clients arrivent à 8h, tous les produits sont prêts. Ce n’est pas évident car ça demande beaucoup de travail, mais on a environ 200 clients fidèles tous les jours. C’est grâce à eux qu’on fonctionne, c’est le quartier qui nous fait vivre. »
Des loyers attractifs
L’épidémie de Covid-19 n’a pas épargné les commerçants de New York, avec de nombreuses fermetures lors de l’année 2020, surtout à Manhattan. Les prix des loyers ont ainsi baissé de 10,7% sur un an, avec des réductions allant jusqu’à 50% par rapport à 2019, selon The Wall Street Journal. « Nous sommes clairement en dessous du marché alors que nous sommes dans une rue emblématique de Brooklyn Heights, concède Gautier Coiffard. On va payer quatre fois moins que le store d’en face, pour plus ou moins la même chose, et on a eu également six mois de loyer gratuits. » Florent Andreytchenko a également trouvé un bon deal à Fort Greene puisqu’il sous-loue les locaux du bar à vin Petit Paulette appartenant à un autre Français, Lionel Bremond. « C’est un copain restaurateur à qui je livrais le pain jusqu’ici. Je me sers du local la journée, avant de le lui rendre le soir. Ça n’a pas nécessité un gros investissement financier. »
Benjamin Sormonte et sa femme Elisa Marshall sont les propriétaires des cafés/boulangerie Maman à New York. Déjà à la tête de sept établissements en 2020, ils ont profité de la pandémie pour ouvrir deux nouvelles adresses dans l’Upper East Side en juin et au Rockefeller à Midtown en septembre, avant une troisième à Cobble Hill à Brooklyn prévue pour novembre. « Des opportunités se sont présentées avec des loyers intéressants grâce à la situation socio-économique actuelle », nous confiait Benjamin Sormonte en mai, misant sur la reprise de l’activité à New York. « On réalise en ce moment un meilleur chiffre qu’avant la pandémie. Les habitants ont vraiment envie de reprendre une vie normale. »