Anka Muhlstein fonctionne au “coup de passion”. La grâcieuse Anka a beau être historienne, lauréate du Goncourt de la biographie et du prix d’histoire générale de l’Académie française, elle n’a rien d’académique.
La preuve, son dernier livre paru ce mois-ci en France, un essai de gastronomie littéraire ‘Garçon, un cent d’huîtres ! Balzac et la table’ (Odile Jacob), pour lequel Anka s’est replongée dans l’oeuvre de Balzac avec gourmandise. “Je me suis rendue compte qu’avant Balzac, la gastronomie n’était pas un sujet littéraire. Prenez Les Liaisons Dangereuses, il y a des tas d’opportunités d’expliquer ce que Madame de Merteuil servait à ses amants! Le grand changement quand Balzac a commencé à écrire, ça a coïncidé avec la création des restaurants”.
Elle explique qu’Honoré de Balzac était une sorte de Guide Michelin. “Balzac s’est lancé dans le reportage gastronomique avec toute la fougue qui le caractérise. Il ne cite pas moins de 40 restaurants dans La Comédie humaine. Aucun n’est fictif ! Il décrit le menu, les habitués. Il donne aussi les prix. Vous avez l’impression d’y être.” Le milieu littéraire salive. Philippe Labro ne tarit pas d’éloge : “C’est divertissant, superbement documenté, étayé de mille exemples.”
«Comme je ne suis pas universitaire, je n’ai pas besoin de suivre un chemin trop étroit», explique Anka Muhlstein quant aux choix de ses sujets. Elle s’en donne à coeur joie : elle a écrit huit livres dont une biographie de la reine Victoria, une de James de Rothchild, Cavelier de la Salle, Astolphe de Custine (prix Goncourt de la biographie), Marie Stuart… Seule limitation : “Il faut que je trouve un sujet que je puisse faire ici et qui intéresse assez les éditeurs en France.”
Ses livres intéressent au-delà de l’hexagone : Marie Stuart par exemple a eu beaucoup de succès en Angleterre, à la stupéfaction de l’auteure compte tenu du nombre d’ouvrages sur le sujet outre-Manche. Quant à Balzac et la table, il paraîtra aux Etats-Unis en 2011, un exploit quand on sait le peu de livres traduits qui franchissent l’Atlantique. «Le sujet amuse les Américains», dit Anka avec modestie.
Maintenant parlons de sa vie. Née d’un père polonais et d’une mère française, elle grandit à Paris. La jeune femme férue de littérature devient éditrice chez Denoël. Elle épouse en 1974 un Américain d’origine polonaise Louis Begley et le suit aux Etats-Unis: Anka a deux enfants d’un premier mariage, son mari trois. “Tout à coup, nous nous sommes retrouvés à la tête de cette petite entreprise”, s’amuse-t-elle. A son arrivée, elle se précipite chez Georges Borchardt, l’agence littéraire d’influence. “Il m’a expliquée qu’en Amérique, on travaillait beaucoup plus qu’en France. Il m’a un peu découragée”, se souvient-elle. Il lui semble difficile de concilier une carrière dans une grande maison américaine et sa tribu reconstituée. “Au fond, pourquoi n’écrirais-tu pas?“, lui suggère l’agent.
Son premier livre, sur le pouvoir des femmes au XVIIe siècle remporte un succès immédiat. Elle continue à écrire. Un changement intervient quand son mari avocat se met à écrire. “Nous avons maintenant une vie très rangée. Nous travaillons tous les deux ici, nous écrivons toute la journée. C’est un peu comme une drogue.” Louis Begley a écrit plusieurs ouvrages, dont un nominé pour le National Book Award. “Le secret de notre entente? Il écrit des romans, moi de l’histoire, lui en anglais, moi en français,”plaisante-t-elle. Pas de compétition donc. Et la veine littéraire irrigue toute la famille : les enfants savent eux-aussi savent manier les mots. Stéphane Dujarric, l’un des deux fils d’Anka est l’ancien porte-parole de Kofi Annan. Il s’occupe aujourd’hui de la communication du Programme des Nations Unies pour le développement.
A 75 ans, c’est avec un grand appétit que la pétillante Anka Muhlstein s’attelle à son prochain ouvrage. Le sujet? Comment Marcel Proust a incorporé les auteurs qui comptaient pour lui dans A la recherche du temps perdu? Proust’ books sera destiné à un public américain. La fin de l’entente maritale ? Probablement pas, nous rassure Anka Muhlstein en nous resservant du thé et des madeleines.