Journaliste depuis 12 ans, Loïc Hecht vient de publier un premier roman qui s’attaque à l’emprise du numérique sur nos vies. Et pour ce faire, quel meilleur décor que la Baie de San Francisco ? « J’aurais pu développer ce sujet partout ailleurs, mais à SF, ça s’incarne physiquement. Le contrecoup économique et la gentrification liés à la présence des plus grosses boîtes high-tech ont de lourdes conséquences pour la population » explique l’auteur. Et d’ajouter : « c’est un endroit où le capitalisme est lâché à son maximum et crée des inégalités puissance 1000… »
L’idée de Loïc Hecht : raconter l’impact de l’industrie tech via les récits croisés de personnages évoluant dans différentes strates de la société locale. Comment ? Grâce à une fiction qui s’inspire de faits réels. Marc, un entrepreneur Français débarque à Palo Alto, en plein cœur de la Silicon Valley (où se trouvent les sièges d’entreprises comme Facebook, Google ou Apple). Il y développe sa start-up, des rêves de monde meilleur pleins la tête. Après avoir validé toutes les étapes du parcours classique, de l’incubateur à la levée de fonds, il se fait destituer. Écœuré, il cherche alors à se venger du système et se radicalise.
Autour de lui gravitent une étudiante renvoyée de l’université de Berkeley, influenceuse et animatrice d’un show coquin, ainsi qu’un journaliste qui suit les affres de l’actualité de la Silicon Valley. Trois héros désabusés qui permettent de vadrouiller dans l’ensemble de l’écosystème de la Baie, entre les bureaux de Soma, le quartier de Mission, Palo Alto ou Oakland.
Pour écrire ce roman Loïc Hecht, 36 ans, a réalisé une enquête de terrain approfondie. Il s’est ainsi immergé plusieurs semaines sur place. « Je suis venu deux fois un mois, à quatre ans d’intervalle. Pour comprendre la géographie de la région, rencontrer les personnes du milieu et voir l’évolution. Pour les start-uppers et des gens de la tech, c’était facile. Il a été plus compliqué de discuter avec les activistes qui avaient engagé des actions intimidantes contre les grosses boîtes de la région» précise-t-il.
Le journaliste fait ici référence au groupuscule « The Counterforce», médiatisé en 2014 pour avoir stoppé des bus affrétés par les géants de la Silicon Valley ou manifesté devant les maisons de salariés connus. Leur motivation ? Briser le capitalisme et la prison digitale dans laquelle le numérique nous enferme. « Après plusieurs prises de contacts, j’ai obtenu un rendez-vous avec eux » raconte t-il. « Je leur ai parlé honnêtement de mon projet et la confiance s’est installée. Ceux qui ont participé aux actions subissent de plein fouet la gentrification et j’ai pu m’en inspirer pour “Virus”, le groupuscule de mon roman. »
Car derrière la fiction et le thème des relations ambivalentes à la technologie, Loïc Hecht développe une réflexion plus large sur la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui, notamment sur le fossé des inégalités qui se creuse. « Même les gens bien payés ont aujourd’hui du mal à vivre à SF. Il y a des Tesla partout mais la misère devant… Et le problème se décale autour.» L’auteur explore donc avec ce premier ouvrage les marges de notre monde et le ton parfois moqueur révèle une tension prête à exploser.