D’après la société de sondages YouGov, un adulte sur cinq en France comme aux Etats-Unis serait prêt à introduire des insectes dans son régime alimentaire. Une bonne nouvelle pour les entreprises françaises Ÿnsect et InnovaFeed, toutes deux spécialisées dans l’entomoculture et présentes outre-Atlantique.
Maye Walraven, directrice générale de l’équipe InnovaFeed aux Etats-Unis, explique que la start-up se concentre sur l’élevage de mouches soldats noires « pour leur profil nutritionnel, très riche en protéines et en acide laurique, mais aussi pour leur efficacité : elles grandissent rapidement, se nourrissent d’une grande diversité de substances et ne nécessitent que peu de matières premières pour être transformées en ingrédient de qualité ». L’ingénieure insiste sur leur potentiel de recyclage de biomasse à faible valeur ajoutée, car « les insectes peuvent se nourrir de feuilles que d’autres espèces ne mangent pas, et nourrir à leur tour des oiseaux et d’autres petits animaux. Mais ils sont complètement oubliés dans la chaîne de valeur alimentaire industrielle ou humaine telle que nous la connaissons. »
Même constat pour Alain Revah*, directeur commercial chez Ÿnsect – où sont élevés des scarabées Molitor (aussi appelés ténébrions meuniers ou vers de farine) et des scarabées Buffalo : « ces espèces contiennent énormément de protéines, participent à la réduction du cholestérol, des lipides et de de la mortalité animale, et permettent un accroissement du rendement dans les fermes aquacoles ».
« Les gros poissons d’élevage sont en général nourris au soja ou au blé. La Commission Européenne a autorisé les protéines d’insectes dans l’aquaculture en 2017 », retrace Maye Walaraven. « L’alimentation des volailles et des porcs a suivi, et enfin la consommation humaine », poursuit Alain Revah. « Nous poussons tous dans la même direction pour débloquer les freins régulatoires, car il faudra répondre à un déficit de protéines qui est en train de se créer à l’échelle mondiale. La FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, ndlr) estime qu’il sera de l’ordre de 30 millions de tonnes pour l’aquaculture d’ici 2030 », précise Maye Walraven. « Nous aurons besoin de 70% de nourriture en plus d’ici 2050 », renchérit Alain Revah, s’appuyant sur les chiffres de la même organisation. « Il faudra donc produire à très grande échelle pour éviter une crise alimentaire, car nous serons plus de neuf milliards sur terre, et avec seulement 5% de terres arables disponibles. Il n’y a pas de concurrence quand le besoin est si important, mais bien une multitude de solutions alternatives : les algues, la viande cellulaire… »
La dernière levée de fonds d’InnovaFeed (250 millions d’euros en série D en septembre dernier) devrait financer son entrée aux Etats-Unis, « mais aussi un déploiement à l’international plus largement, en Europe et en Asie du Sud-Est », précise Maye Walraven. En plus de sa ferme verticale française, l’entreprise possèdera dès l’an prochain une usine américaine dans l’Illinois, pour laquelle elle table sur « une capacité de production quatre fois supérieure à celle de [son] site français. Nous prévoyons d’être opérationnel dès janvier 2024, avec une montée en puissance qui devrait démarrer d’ici 2025 », poursuit la responsable. « Les Etats-Unis constituent un grand atout agricole. Le Midwest, qui fait office de grenier du pays, est une zone très pertinente pour notre implantation, notamment du fait de la disponibilité des matières premières utilisées pour l’élevage d’insectes » – souvent des co-produits du blé ou du maïs. InnovaFeed mise donc sur le marché de la nutrition animale (grâce à son association avec les géants américains de l’agroalimentaire ADM et Cargill), du fertilisant (les déjections d’insectes pouvant être mises à profit dans l’agriculture biologique), et enfin de l’alimentation humaine.
Arrivée en Amérique du Nord un peu plus tôt que sa consœur suite à un partenariat avec le distributeur de nourriture ultra-premium pour chiens Pure Simple True LLC, Ÿnsect se positionne sur les mêmes segments. L’entreprise a toutefois annoncé, après avoir levé 160 millions d’euros il y a trois mois, un virage stratégique sur le marché de la nutrition animale pour se concentrer surtout sur les animaux de compagnie. Alain Revah rappelle qu’« il existe aux Etats-Unis un très gros marché du “backyard chicken”, avec quelque dix millions d’individus qui ont des poules dans leur jardin, une tendance qui s’est accélérée avec la pandémie ». Après avoir acquis son concurrent néerlandais Protifarm (dont le site de production a depuis été fermé) ainsi que le producteur américain de vers de farine Jord Producers, Ÿnsect a lancé Sprÿng, sa propre marque d’alimentation animale. Elle envisage également d’ajouter à son portefeuille de fermes verticales et couvoir un nouveau site de production aux Etats-Unis, cette fois en collaboration avec la minoterie Ardent Mills.
En ce qui concerne la consommation humaine, Alain Revah note qu’il faut en revanche passer outre un certain nombre de réticences et barrières psychologiques, notamment celles communément liées à l’ingestion de l’animal entier. « Une fois réduit en poudre, en gélule, en complément alimentaire ou servi en milkshake, il n’y a plus de problème », observe-t-il. Sous cette forme, « la nutrition sportive représente un créneau énorme. The American Journal of Clinical Nutitrion (La revue américaine de nutrition clinique, ndlr) a récemment publié un article sur l’équivalence de notre protéine d’insectes avec la protéine de lait, généralement utilisée pour augmenter la masse musculaire. » Il y a donc des opportunités à saisir pour Ÿnsect et InnovaFeed, qui n’ont pas encore commercialisé de produits destinés à l’assiette aux Etats-Unis.
*Alain Revah a désormais quitté son poste mais travaillait toujours chez Ÿnsect lorsque French Morning l’a contacté.