C’est peut-être le mariage le plus réussi entre la France et l’Amérique et c’est une histoire qui dure depuis près de 90 ans. Le Veau d’Or, ce restaurant mythique de l’Upper East Side, rouvre après cinq années de travaux. À la baguette, ou plutôt aux fourneaux, on retrouve deux Américains amoureux de la culture culinaire française : Lee Hanson et Riad Nasr, deux chefs renommés de la Grosse Pomme qui ont laissé leur empreinte dans des établissements mythiques tels que Balthazar ou Minetta Tavern. Ce sont eux qui sont aussi à l’origine du phénomène Frenchette, qui s’est rapidement fait une place dans l’environnement bucolique de Tribeca.
Avec Le Veau d’Or, c’est d’une toute autre image de la France dont ce duo s’empare. Une image plus traditionnelle, qui associe le pâté en croute avec les vins du Rhône, les nappes à damiers et les banquettes rouges. Comme l’impression de se retrouver à Paris dans les années 50. C’est pourtant cela qui a particulièrement plu à Lee Hanson et Riad Nasr et cela ne date pas d’aujourd’hui. « C’est un lieu tellement chargé d’histoire qu’on a toujours pensé que la ville devrait faire quelque chose pour le préserver, estime même Lee Hanson. Tous les autres lieux majeurs du quartier ont fini par disparaitre. »
Alors, le plus français des duos américains a fini par prendre les devants et a démarché à plusieurs reprises la précédente propriétaire du lieu, Cathy Treboux. Une insistance pendant plusieurs années qui a fini par porter ses fruits quand la fille de Robert Treboux (seulement le troisième propriétaire dans l’histoire du restaurant !) a décidé de passer la main.
Que trouvera-t-on dans ce décor de bois, d’assiette blanche à liseré rouge et de verre à cognac ? Le menu constitue une célébration des plats français les plus emblématiques. « Il y a de nombreux plats de base de la cuisine française, reconnaît quant à lui Riad Nasr. On s’est penché sur les menus d’origine et on a commencé à travailler sur ces plats de l’époque, d’une manière authentique mais avec une sensibilité moderne. Ce n’est pas une cuisine très méticuleuse. On voulait un endroit où vous pouvez pousser la porte et savoir à peu près déjà ce que vous rêvez d’avoir dans votre assiette. »
On retrouve bien sûr les fameux escargots à la Provençale, les cuisses de grenouille, le potage de légumes, le magret… aux cerises, les petits farcis niçois, ou encore le fantastique gigot d’agneau. Les prix feront tousser les Français pour de la cuisine traditionnelle (menu fixe entrée/plat/fromage/dessert à 125$) mais on est à New York et la France continue d’être un bel argument de vente. Interrogé en 2015, Anthony Bourdain, dont la curiosité hors des sentiers battus en faisait le meilleur guide culinaire de la ville, avait déclaré que s’il y a un endroit, à New York, où il aime retourner, c’est le Veau d’Or. « C’est un lieu dont le menu n’a pas changé depuis les années 30, et qui a rejeté le monde moderne, avait-il déclaré. C’est un magnifique retour dans le passé, qui propose des plats dont le marché a dit : on n’est pas intéressé par cela. C’est un restaurant de style français pré-Mad Men, et qui m’attire beaucoup. »
Les nouveaux propriétaires vendent aussi l’histoire du lieu, qui constituait un repère d’artistes et de stars tout au long du XXe siècle. On raconte qu’Orson Welles avait sa propre banquette attitrée, proche de la fenêtre, que Grace Kelly y aurait rencontré Oleg Cassini et que Jacky Kennedy ou encore Marlene Dietrich y avaient leurs habitudes.
Le Veau d’Or à la sauce 2024 aura-t-il autant de succès ? Le restaurant, décrit par la plume renommée d’Adam Gopnik du New Yorker comme le plus bel exemple d’une cuisine Manhattan French (pas la peine de traduire), ouvre les réservations deux semaines à l’avance et affiche déjà complet. Les propriétaires ont en tout cas mis les petits plats dans les grands. La rénovation est somptueuse et il fallait bien deux Américains amoureux de la France pour redonner à ce lieu, peut-être le plus français des restaurants américains, toutes ses lettres de noblesse.