Il lui aura fallu presque 30 ans pour sortir des cartons, mais le Petit Prince est sur le point d’avoir la statue new-yorkaise qui lui manquait. Une levée de fonds est en cours, elle devrait permettre d’installer l’œuvre en septembre prochain, sur la Cinquième Avenue.
« Il était plus que temps, dit Jean-Hugues Monier, un des Français de New York à l’origine du projet. Quand on se promène dans Central Park, on trouve une ribambelle de statues, dont plusieurs figures liées à la littérature pour enfants, de celle de Hans Christian Andersen à celle représentant Alice aux Pays des Merveilles… Mais pour l’œuvre la plus publiée au monde, rien ! ».
L’injustice était d’autant plus criante que l’œuvre d’Antoine de Saint Exupéry est intimement liée à New York où, en exil au début de la Seconde Guerre mondiale, il écrivit le conte, publié pour la première fois aux États-Unis, en français et en anglais, en 1943.
« Pour toutes ces raisons, nous nous sommes dit qu’il était temps de relancer ce vieux projet de commémoration de Saint-Exupéry à New York, qui existe dans les cartons de l’association American Society of Le Souvenir français depuis 1994, mais n’avait jamais pu voir le jour pour une multitude de raisons », résume Thierry Chaunu, l’actuel président de l’association.
Avant toute chose, il fallait identifier un endroit pour ériger la sculpture. « Il se trouve que le bâtiment de la Villa Albertine (les services culturels de l’Ambassade de France), dispose d’un jardin qui donne sur la Cinquième Avenue », note Jean-Hugues Monier. Avantage : le terrain étant propriété de la France, il ne nécessite pas de passer par un long processus d’autorisation. Et il offre surtout une place de choix sur la célèbre avenue. La décision est donc prise : le Petit Prince sera installé au-dessus du mur bas qui borde le jardin.
Restait à trouver un sculpteur pour réaliser le bronze. Ce sera le Français Jean-Marc de Pas, qui est déjà l’auteur du buste de Saint-Exupéry exposé à l’aéroport du Bourget. Ces derniers mois, il a sculpté 7 modèles différents, le sujet étant à chaque fois dans une position différente. L’association a fait son choix la semaine dernière : le petit prince sera assis sur le muret, le regard tourné vers le ciel.
Le sculpteur va désormais se mettre au travail dans son atelier en Normandie. Objectif : inauguration de la statue en septembre 2023, juste à temps pour le 80ème anniversaire de la publication de l’œuvre. D’ici là, il faudra conclure la levée de fonds pour financer l’opération. L’association espère lever 80.000 dollars, « mais nous sommes déjà sur la bonne voie » confie Jean-Hugues Monier. (Pour donner, voir ici)
Le sculpture deviendra alors un symbole de l’histoire new-yorkaise de l’œuvre, riche mais souvent méconnue même des admirateurs du Petit Prince et de son auteur. Le manuscrit original fait pourtant partie de la collection de la Morgan Library (le musée de Madison Avenue lui consacre d’ailleurs une exposition en ce moment, jusqu’au 5 février 2023). Arrivé à New York en décembre 1940, Antoine de Saint-Exupéry y passa plus de deux ans, dont l’écriture du Petit Prince ne marque qu’une petite partie. Il se consacre en effet largement à tenter de convaincre les Américains d’entrer dans la guerre. Son best-seller « Flight to Arras » (« Pilote de Guerre » en français), publié aux États-Unis en 1942 mais écrit avant l’entrée en guerre des Américains en décembre 1941, tente notamment d’expliquer au public américain que la défaite française n’est pas intervenue sans une héroïque bataille de France.
Largement isolé à New York malgré sa notoriété -il ne parle pas anglais-, Saint-Exupéry fréquente principalement les cercles de Français de New York, comme son ami Bernard Lacombe, artiste. Celui-ci a son studio à l’étage d’un restaurant français, La Vie française, qui sert de repère à la bande (à laquelle appartiennent, brièvement, Jean Gabin et Marlène Dietrich, entre autres). L’immeuble abrite toujours un restaurant français (La Grenouille), et arbore une plaque installée là par le Souvenir français en 2000, commémorant Antoine de Saint-Exupéry.
C’est pourtant ailleurs qu’il passe l’essentiel de son temps. Avec son épouse Consuelo, ils habitent notamment un appartement sur Central Park South, mais en 2000, les propriétaires de l’immeuble s’opposèrent à la pose de la plaque, arguant qu’elle risquait d’attirer trop de touristes… Mais c’est dans un autre appartement que l’essentiel du conte fut écrit : celui d’une jeune journaliste, Sylvia Hamilton, avec qui il entretint une intense relation pendant plus d’un an. C’est à elle, à la veille de son départ des États-Unis pour rejoindre les Forces françaises libres en Afrique Nord en avril 1943, qu’il remettra le manuscrit du conte. Le même manuscrit exposé désormais à la Morgan Library, qui en a fait l’acquisition dans les années 1960.
Le Petit Prince ne sera publié en France que trois ans plus tard, en 1946. Saint-Exupéry lui, ne revit jamais la ville. Le 31 juillet 1944, le Lockheed P–38 Lightning, avion américain à bord duquel il effectuait une mission de reconnaissance depuis une base corse, était abattu en Méditerranée. Plus de cinquante ans plus tard, en 1998, un pêcheur remonta dans ses filets la gourmette que portait le pilote. Gravées sur le bijou, après son nom et une adresse (celle de son éditeur), figurent trois lettres : NYC.