“J’ai dû tout réapprendre”. Comme beaucoup de restaurateurs, Daniel Boulud a passé une année 2020 difficile. Plusieurs restaurants de son groupe, Dinex, dont db Bistro et certaines épiceries Boulud, sont encore fermés (mais devraient rouvrir) et il a dû couper ses effectifs de manière drastique. “De 750 avant la pandémie, on est passé à une dizaine. Depuis, on est remonté à plus de 300, confie-t-il. Après le 11-Septembre, la baisse d’activité a duré une semaine, mais rien n’empêchait les New-Yorkais de se retrouver. Ce qui n’était bien sûr pas le cas avec la Covid“.
Malgré les difficultés, le chef lyonnais n’a pas raccroché son tablier. Entre des distributions de repas pour les soignants et les personnels en première ligne, une levée de fonds pour soutenir ses employés (il a obtenu près de 700 000 dollars, dit-il) et des ouvertures en dehors de New York et à l’étranger, il n’a pas chômé. Et maintenant que New York reprend vie, il inaugure son petit dernier, Le Pavillon, dans la nouvelle tour One Vanderbilt, à côté de Grand Central. Sa nouvelle adresse, située au premier étage (européen) de ce gratte-ciel qui en compte 67, dispose de 120 places et est axée sur les fruits de mer et les légumes. Au rez-de-chaussée se trouve une épicerie Boulud. “Je ne vois pas ouvrir un nouveau restaurant comme un défi, explique Daniel Boulud. C’est plus une opportunité”.
Le nom “Le Pavillon”, “choisi parmi cinquante“, est censé évoquer une atmosphère de “fête“, dit-il, et lui rappelle un restaurant de son Lyon natal, le Pavillon-du-Parc, situé au bord du lac de la Tête d’or. C’est aussi un clin d’oeil au mythique restaurant d’Henri Soulé, ouvert en 1939 dans le cadre de l’exposition universelle à New York puis de manière indépendante deux ans plus tard. “Soulé et son personnel ne sont pas rentrés en France après l’exposition universelle. Ils sont allés au Canada et sont revenus aux États-Unis comme réfugiés“, glisse Daniel Boulud. Ce premier “Pavillon”, qui a défini l’image de la haute-cuisine française aux États-Unis après la guerre, a régalé bien des personnalités, comme les Rockefeller, les Vanderbilt et les Kennedy. Même si le tempétueux Henri Soulé a eu des démêlés avec ces derniers après avoir réprimandé des membres de leur entourage qui avaient commis le crime de lèse-majesté de demander, à sa place, à des paparazzi de déguerpir du restaurant !
Arrivé à New York en 1982, Daniel Boulud n’a pas connu Le Pavillon, qui a fermé ses portes en 1966, mais “c’était une référence. Toute une génération de chefs est passée par ses cuisines. Ils ont ouvert leurs propres restaurants français par la suite“. De la même manière que Daniel Boulud a formé une ribambelle de grands chefs américains et français dans son étoilé Daniel et ses autres tables (Thomas Keller, David Chang, Andrew Carmellini…)
Le Pavillon version Boulud est sans conteste l’un de ses plus beaux restaurants. Les tables sont disposées au milieu d’une sorte jardin intérieur, composé d’arbres et de plantes de toutes tailles, parfois passés par les fenêtres pour être installés. Les convives autour d’une longue table semi-privée baptisée “Garden Table” pourront profiter d’expériences gastronomiques spéciales. “Les végétaux recouvrent la moitié de la superficie du restaurant“, précise le chef. Un mur strié de longues lattes aux allures de forêt ajoute au caractère “végétal” de l’endroit, servi par de grandes baies vitrées qui laissent entrer la lumière naturelle. En arrivant au sommet de l’escalier qui mène au restaurant, l’attention des visiteurs est attirée par un bar-lounge de 46 places surmonté d’une installation de verre qui donne sur Grand Central et le Chrysler Building. Le tout est dominé par plusieurs plafonds à des hauteurs variées – le plus élevé se trouve à près de 20 mètres.
C’est la première fois que Daniel Boulud ouvre un restaurant avec un partenaire, en l’occurence l’entreprise immobilière SL Green. Avec une centaine de bâtiments à New York, la société est le plus grand propriétaire commercial de la ville. D’un coût de 3,3 milliards de dollars, le One Vanderbilt a été inauguré en septembre et se targue d’être le plus haut immeuble de Midtown. Cinq ans après le premier coup de pioche, il est loué à 89%, par des entreprises du secteur financier notamment. Un observatoire doit ouvrir à l’automne.
Par le plus grand des hasards, Le Pavillon a accueilli ses premiers clients le 19 mai, le même jour que les restrictions d’accueil ont été intégralement levées sur les restaurants new-yorkais. Heureux de pouvoir présenter Le Pavillon comme un symbole de la renaissance et de la résilience de sa ville, le maire Bill de Blasio a fait le déplacement pour l’inauguration.
Lancer un restaurant de luxe en plein Midtown, alors que les bureaux sont encore en partie vides et que beaucoup de ses voisins (21 Club, Esca…) ont fermé, cela ne fait-il pas peur au chef Boulud ? “Les bureaux se rempliront. New York reviendra, vous pouvez en être sûr !“.