En 2011, certains jeunes américains sont descendus dans la rue. Ils ont constitué le plus gros des troupes du mouvement Occupy, dit leur ras-le-bol de la crise économique et des inégalités sociales en citant l’ouvrage Indignez-vous de Stéphane Hessel. Ils ont exprimé leur colère face à l’augmentation de frais de scolarité déjà démentiels et répété qu’ils n’attendaient plus rien d’un président leur ayant parlé d’espoir et de changement. «C’est notre mai 68 !», hurlaient certains lors des manifestations Occupy Wall Street…
Mais il y a plus que ces similitudes -reconnaissons-le, très superficielles- avec un mouvement social “à la française”. Il y a les réponses que donnent les jeunes américains lorsqu’on les sonde. La dernière enquête du Pew Research Center, dont les études sur la société américaine et la politique font autorité, donne des résultats intéressants: une majorité relative (49%) des sondés entre 18 et 29 ans perçoit le terme «socialisme» de manière positive (+6 points par rapport à la précédente enquête sur le même thème en mai 2010) contre 43% à qui il deplait. La même enquête indique aussi que la part d’opinions défavorables sur le mot « capitalisme » dans cette même tranche d’âge dépasse celle des opinions favorables (46% contre 47% des sondés). «En 2011, le jeune américain est un déçu du capitalisme. Et ce n’est pas le seul, le rejet du mot ‘capitalisme’ est partagé par toutes les générations, une évolution intéressante dans le contexte américain», note Caroll Doherty, directeur adjoint du Pew Research Center. La faute à la crise, note le chercheur: «La frustration grandit avec la crise. Les défauts et limites du capitalisme sont sous les projecteurs».
Car au-delà des clichés, la situation de la jeunesse des deux côtés de l’Atlantique comporte de nombreuses ressemblances. C’est un fait, la France et les Etats-Unis sont en crise. Elle dure depuis 2009 et affecte la jeunesse dont le taux de chômage, aux Etats-Unis, stagne autour de 18%. La conséquence: une certaine partie du pays découvre une réalité que la France connaît déjà, avec un taux de chômage des jeunes (15-25 ans) compris entre 20% et 25% depuis près de trois décennies, l’un des taux plus élevés parmi les pays de l’OCDE. «De jeunes américains favorisés qui ont pu se lancer dans des études supérieures se retrouvent dans la même situation que la génération Tanguy, renommée ‘génération des limbes‘. Ils payent une fortune pour leurs études en pensant s’assurer un avenir. Et ça ne marche pas. Ils se retrouvent au chômage et retournent vivre chez leurs parents. Cette situation très française est nouvelle ici», analyse le sociologue français Louis Chauvel, actuellement détaché de Sciences Po auprès de l’Université de Columbia.
Nathalie, étudiante à Barnard College à New York confirme : «Mes frais de scolarité se sont élevés à 53.000 dollars cette année. C’est d’autant plus aberrant que je ne sais pas si je vais trouver du travail ensuite. Nous sommes en colère face à cette situation, mais notre colère ne donne rien… Comme si ce n’était pas dans notre culture d’espérer que l’Etat améliore les choses.» Marc, étudiant en informatique, ajoute : «Nous n’avons jamais de discussion sur ce que nous attendons de l’Etat en fait». Il réfléchit, «j’aimerais que mon gouvernement cesse d’investir autant dans l’armée pour miser plus sur l’éducation et la santé. Que le niveau de connaissance augmente. Notre Etat pourrait mieux prendre soin de nous. De loin, j’ai l’impression qu’un pays comme la France prend mieux soin de ses citoyens.»
Déçus du capitalisme ou d’Obama?
A noter que la classe d’âge des 18-29 ans a voté massivement (66%) pour Barack Obama en 2008. Elle est aussi celle qui soutient avec le plus d’enthousiasme une plus grande intervention de l’Etat dans l’économie et la société, notamment la santé. Un sondage publié fin 2009 par l’institut IOP d’Harvard montre que la classe d’âge est favorable dans son écrasante majorité à la régulation de ce dernier secteur par le gouvernement ou l’instauration d’une « option publique » pour concurrencer les assurances privées. Par conséquent, l’étiquette « socialist », que les adversaires de Barack Obama aiment lui coller, devient, pour certains jeunes, positive. «En 2008, mon colocataire avait mis une affiche d’Obama sur notre porte et ajouté au feutre ‘socialiste’ ! Je crois qu’on trouvait ça cool, se souvient Marc, l’étudiant de Columbia. Nous demander une définition précise, c’est comme nous demander le nom d’une équipe de hockey canadienne… Je dirai qu’on fait au moins la différence avec le communisme. On associe le mot à quelque chose de plus égalitaire que le système américain actuel».
Libertariens contre socialistes
Mais pour Peter Levine, directeur du centre Circle sur l’engagement civique des jeunes, ce penchant des jeunes américains pour le socialisme est ponctuel. «Le contexte actuel alimente la réflexion sur la manière de corriger notre système mais celle-ci reste dans des cercles très restreints et éduqués. Il ne faut pas oublier que les jeunes aux Etats-Unis se caractérisent surtout par leur désintérêt pour la chose politique. »
C’est aussi l’avis de Louis Chauvel qui préfère se concentrer sur la popularité du courant de pensée libertarien et de Ron Paul chez les jeunes que sur le mouvement Occupy. Selon le sociologue, ce courant « qui est une sorte d’ultra-libéralisme anarchiste radical laissant la place à une certaine liberté de moeurs », radicalement opposé à l’intervention de l’Etat, « mord beaucoup plus dans le fond de la population, une population désabusée qui n’attend rien des gouvernements ».