Le Lincoln Center propose, jusqu’au mercredi 5 mars, une rétrospective Frederick Wiseman. Trente-trois films du prolifique documentariste américain de 95 ans y sont diffusés. L’opportunité de découvrir le travail immersif de ce francophile, qui, presque malgré lui, a inscrit son œuvre dans les pas de grands sociologues français du siècle dernier tels Louis Althuser, Michel Foucault ou Jean Baudrillard.
La méthode Wiseman est simple, la camera est posée au cœur d’institutions ou de lieux emblématiques et elle suit les hommes et les femmes qui y vivent. L’équipe de tournage est réduite, deux personnes : Frederick Wiseman et un assistant. Pas de commentaire, pas de musique ajoutée – exceptée celle issue des prises de son direct, pas de lumière complémentaire. De nombreux détails sont filmés. Après un tournage de quelques semaines, place au montage, sorte de reconstruction complète des rushes, qui s’étale sur de long mois. Ce montage, par son élaboration, son parti-pris, devient le réel narrateur du film. Wiseman développe : « On reproche parfois l’absence de commentaire dans mes films. Pour moi, c’est le montage lui-même qui est le commentaire : ma démarche se veut plus narrative que didactique. »
On retrouve donc Wiseman au Lincoln Center avec lequel il entretient une histoire commune. Depuis 1967, il a déjà été sélectionné onze fois lors du « New York Film Festival ». Les trente-trois films projetés aujourd’hui dans l’hypersophistiqué Walter Reade Theater ont été totalement restaurés en 4K sous le contrôle du cinéaste lui même, d’après les matériaux de tournage originaux.
Aspen, Miami, Chicago, New York… Hôpital, prison d’état, lycée, grand magasin, camp d’entraînement, monastère, école pour sourds, Central Park, tribunal pour enfants, centre de recherche scientifique sur les primates, … la liste hétéroclite des sujets que le cinéaste bostonien aborde est ancrée dans le réel. Elle annonce les ambitions de cette ancien professeur de droit à l’université de Boston : décrypter les États-Unis au travers de son territoire et de ses institutions. Depuis 1967, ses films offrent un panorama complexe d’une Amérique au long cours.
Parmi la sélection se glissent des films qui trouvent un écho particulier dans l’actualité, à l’exemple de « Canal Zone », un documentaire de 1977 qui montre les hommes et femmes en activité autour du canal de Panama dans les années 1970.
On note aussi la présence de films réalisés en France. Frederick Wiseman oscille en effet entre Boston et la France où, depuis les années 1980, il aime travailler. Il y a tourné « La Comédie Française » en 1996, le premier documentaire autorisé à suivre la troupe théâtrale du Français, mais aussi « The Last Letter », une des rares fictions du réalisateur, inspirée du texte de Vassili Grossman, qui montre, en 2002, Catherine Samie jouant Anna Semionovna une femme russe, juive, dans une petite ville d’Ukraine, piégée dans le ghetto d’où elle écrit sa dernière lettre. Ici, metteur en scène et réalisateur, Frederick Wiseman manifeste les nombreuses facettes de son talent qui dépasse le seul métier de documentariste.
Le dernier film à son actif, intégrée dans la sélection du Lincoln Center, « Menus-Plaisirs—Les Troisgros » (2023), a lui-aussi été tourné en France, au cœur des restaurants de la célèbre famille de restaurateurs.
Il faut donc saisir la chance qui nous est donnée de voir et comprendre quelques aspects saisissants des États-Unis mais aussi le génie de Frederick Wiseman aux travers de cette rétrospective.
Frederick Wiseman: An American Institution au Lincoln Center, Walter Reade Theater (165 W 65th Street, entrée nord, 1er étage) du 31 janvier au 5 mars 2025. Dates, heures et billets ici.