En hommage au quadruple centenaire de Molière, le FIAF propose trois soirées de représentations, dans une mise en scène contemporaine. Sous le thème « Paris du XVIIe siècle rencontre New York du XXIe », la production propose de redécouvrir les délices de la comédie, du satire et d’une critique sociale toujours d’actualité.
Au programme de « Molière Turns 400 », une sélection d’extraits du Misanthrope, de L’École des Femmes et de Tartuffe. Dans une traduction anglaise du lauréat du prix Pulitzer Richard Wilbur, les extraits sont mis en scène sur un fond musical de piano, joué en direct. Le casting comporte trois acteurs américains : Lisa Gorlitsky, Margaret Ivey et Postell Pringle.
C’est Lucie Tiberghien, déjà connue pour avoir fondé « Molière in the Park », qui a pris la direction du programme. La metteure en scène franco-américaine a dirigé de nombreuses pièces entre autres pour le New York City Opéra, Washington Opéra et le Théâtre du Chatelet. Elle a fondé la Compagnie Charnière, dont le but est de lier les productions théâtrales françaises et américaines. Lucie Tiberghien est spécialisée dans le développement de nouvelles pièces et a dirigé et produit de nombreuses premières mondiales dans de prestigieux théâtres autour du monde. Entretien à la veille de « Molière Turns 400 » au FIAF.
Vous avez une histoire personnelle avec Molière, vous avez créé Molière in the Park. Qu’est-ce qui vous attire dans son œuvre ? Je suis franco-américaine, j’ai grandi en France. En arrivant aux États-Unis, j’ai constaté qu’il y avait peu de productions de Molière en dépit d’un grand nombre d’excellentes traductions par Richard Wilbur. Ces traductions apportaient une modernité aux pièces tout en restant fidèles au texte. J’ai eu envie de créer à Brooklyn l’équivalant de « Shakespeare in the Park » à Manhattan. Le côté provocateur de Molière convenait très bien à Brooklyn et j’ai voulu faire découvrir gratuitement l’œuvre de Molière de cette manière.
Comment avez-vous sélectionné les œuvres pour ce programme, dont le public sera un mixe de Francophones et non-Francophones ? Nous avons réfléchi à un fil conducteur et j’ai essayé de trouver des extraits de pièces qui s’organisent autour de thèmes communs. J’ai voulu me concentrer sur les excès de jalousie, de peur et d’angoisse que les hommes, en particulier chez Molière, peuvent avoir quand ils se sentent menacés dans leur identité. Par exemple lorsqu’ils cherchent à élever la femme pour mieux l’épouser dans L’École des Femmes mais qu’elle tombe finalement amoureuse d’un homme plus adéquat pour elle. Dans Le Misanthrope, Alceste s’offusque car Célimène a trop d’amants et ne lui donne pas son amour exclusif. Dans Tartuffe, Orgon s’amourache de Tartuffe sans en voir la duplicité.
Avez-vous une œuvre préférée ? Pas vraiment mais il y en a que je connais mieux que d’autres et je me réjouis de mettre en scène celles que je connais moins car cela me permet de découvrir des couches plus intimes, complexes ou profondes, ce qui est à chaque fois un plaisir.
Molière a été mis en scène des centaines de fois. À quoi s’attendre dans votre mise en scène contemporaine ? En lien avec l’idée de fil conducteur, j’ai engagé un compositeur pianiste de jazz qui joue sur scène. Il a composé des fils de musique de piano qui sont très modernes, qui accompagnent toute la soirée et lie les pièces entre elles. Les costumes sont également contemporains. On a voulu faire des ponts entre le Molière d’il y a 400 ans et le New York d’aujourd’hui avec ces thèmes qui sont encore très à propos.
Comment rendre Molière accessible à de nouveaux publiques moins habitués au théâtre ? On a des acteurs sur scène qui, comme pour « Molière in the Park », sont représentatifs de la population de New York d’aujourd’hui. C’était un point de réflexion important pour nous. Ils portent des vêtements contemporains et se comportent comme des gens du XIXe tout en incarnant les personnages de Molière. J’aime considérer Molière comme un contemporain. On a découvert que certaines personnes qui ne connaissaient pas Molière pensaient que le texte avait été écrit aujourd’hui. Ça ne m’intéresse pas de reproduire une idée qu’on aurait de la France du XVIIe. Je préfère faire vivre ses textes maintenant. À « Molière in the Park », notre idée était de rendre accessible le théâtre à tous, de créer la nouvelle génération d’amateurs de théâtre. Je veux essayer de faire réaliser à la jeune génération qu’il y a au théâtre une façon intéressante, et nouvelle, de voir le monde.
Quels sont les thèmes de Molière les plus intemporels ? L’hypocrisie et la jalousie autour du pouvoir sont des sujets que Molière a beaucoup aimé décortiquer. Au-delà de la fragilité masculine déjà évoquée, il y a évidemment la question des femmes, qu’il faut tour à tour posséder ou contrôler.
C’est une nouvelle collaboration avec le FIAF. À quoi tient la valeur de ce partenariat pour vous ? Ils sont également nos partenaires pour « Molière in the Park ». C’est une institution qui parle au large public francophile de New York et il est évident qu’ils ont beaucoup à nous apporter. C’est la première fois que je mets en scènes dans les murs du FIAF et je suis heureuse d’envisager des partenariats futurs, ici et à Brooklyn. Notre production à FIAF sera suivie d’autres évènements importants pour célébrer les 400 ans de Molière, tels qu’une conversation sur la modernisation de Molère avec Adam Gopnick et Erica Schmidt et une projection de la production de la Comédie-Française, Molière’s Uncensored Tartuffe par Ivo Van Hove.
Si vous n’étiez pas metteur en scène, que feriez-vous ? Dans une autre vie je serais chef d’orchestre !
La première aura lieu ce jeudi 10 mars et sera suivie d’une réception. Représentations jusqu’au 12 mars. Durée de 90 min.
Crédit photo : Molière’s Uncensored Tartuffe © Comédie-Française