Excepté l’enseigne « Francium Chocolate », de l’extérieur, rien ne laisse deviner que les lourdes portes en verre fumé abritent un incroyable temple du chocolat… C’est en toute discrétion que la nouvelle chocolaterie de Stéphane Tréand a ouvert, cet été, à Tustin, dans le comté d’Orange, en lieu et place de son école de pâtisserie. La boutique, étincelante de marbre blanc, accueille déjà les clients. Une sculpture en chocolat, aérienne, trône sur son piédestal. Des bonbons brillants et colorés s’alignent à la perfection dans des vitrines climatisées. Derrière une porte vitrée, des salariés en blouse blanche et charlotte s’activent pour donner vie aux créations imaginées par le chef pâtissier français.
À 60 ans -dont 18 passés en Californie- celui qui arbore le col bleu-blanc-rouge des Meilleurs ouvriers de France (MOF) a décidé de se consacrer entièrement à sa passion pour le chocolat, aux côtés de sa femme, la cheffe pâtissière japonaise Chihiro Tréand. Avec un plaisir de gosse, il nous fait visiter son « labo » flambant neuf, équipé de machines françaises et orné d’une planche de surf. Rochers, truffes, nougatine, bonbons moulés aux parfums délicats, chocolat à la casse… Pour réaliser ces produits d’exception, Stéphane Tréand n’utilise pas de chocolat prêt à l’emploi, mais élabore son propre mélange de pâte de cacao d’Equateur et de beurre de cacao.
« Nous voulions obtenir un produit de caractère, fabriqué ici de A à Z, explique-t-il avec passion. Nous utilisons des ingrédients de qualité supérieure : du bon beurre, de la crème, une poudre de vanille extraordinaire… C’est fait dans les règles de l’art, sans huile de palme ni conservateur, avec le moins de sucre possible.» Ces chocolats haut de gamme séduisent de grands hôtels ou des restaurants de la région (notamment ceux de l’énorme complexe Disneyland d’Anaheim) où la réputation du chef Tréand n’est plus à faire. « Je veux faire découvrir ce savoir-faire français à un public américain », ambitionne-t-il.
Cette chocolaterie, c’est le projet dont il rêvait, l’aboutissement de 45 ans d’une carrière magique. De Saint-Denis où cet enfant du « 9-3 » a fait son apprentissage en pâtisserie à l’âge de 16 ans, à la Californie où il a brillé dans les cuisines des plus grands palaces, en passant par la Provence et le Japon, Stéphane Tréand n’a cessé de se réinventer. Compétiteur, il a remporté les médailles les plus prestigieuses en pâtisserie -dont celle de champion du monde en équipe, en 2008 à Nashville- tout en transmettant sa passion à des générations d’apprentis.
Mais c’est son titre de MOF, « best craftman in France », comme il le dit ici, dont il est le plus fier. La récompense lui a été remise par Jacques Chirac, à l’Elysée, en 2004, comme l’atteste la photo encadrée dans sa chocolaterie. C’est grâce à elle qu’il voyage aux quatre coins du monde, et qu’on lui propose de venir exercer ses talents aux États-Unis, alors qu’il réalise une démonstration à Las Vegas. Quelques mois plus tard, il accepte le poste d’executive pastry chef au Four Season de Newport Beach, sur la côte californienne. Son visa en poche, le jeune chef débarque en Californie avec l’accent français à couper au couteau qui fait encore son charme aujourd’hui.
Un job et un salaire de rêve, des paysages de carte postale… Il mesure la chance qui s’est offerte à lui. « Comme j’étais le “Français rigolo”, j’étais invité dans un tas de soirées, se remémore-t-il. Quand je me présentais, les gens appelaient leurs amis en s’exclamant : “Hey guys, he is a pastry chef !” Ça suscitait des “wahous”, au même titre qu’un ingénieur, alors qu’en France, quand tu dis que tu es pâtissier, les gens s’imaginent que tu n’as pas bien bossé à l’école et que tu t’es retrouvé en apprentissage », compare-t-il.
Une réputation qui n’est pas usurpée, selon lui : « La pâtisserie française est la meilleure du monde, nous avons tous les fondamentaux. Le feuilletage, les éclairs, la pâte à choux… C’est devenu international, mais à la base, c’est français. » Pour lui, seul le Japon, un pays cher à son cœur, pourrait détrôner la France en la matière. Cela fait 15 ans que Stéphane Tréand voyage à Tokyo comme consultant. « Les Japonais font peut-être la pâtisserie française mieux que les Français, admire-t-il. On me fait venir pour apporter des idées, et à chaque fois, j’en repars avec de nouvelles.»
Des idées, il n’en manque pas. S’il a fermé son école de pâtisserie après 10 ans d’enseignement, le chef Tréand continue de donner des cours à l’Ecole Valrhona de Brooklyn, à New York. Il y enseigne un savoir-faire dans lequel il excelle : celui des « pièces artistiques en chocolat. » Un mélange un peu fou de technique et de créativité : du pur Stéphane Tréand.
Francium Chocolate, 3057 Edinger Ave., Tustin, CA 92780.