Le New York Post l’a appelé « l’arme secrête » d’Éric Ripert, le chef du Bernardin. Il s’agit du Martiniquais Éric Gestel, le chef exécutif du célèbre restaurant de Midtown. Depuis décembre, il a un autre titre, plus officiel celui-là : chevalier dans l’ordre du mérite agricole, une distinction de la République française récompensant des individus qui se sont illustrés pour services rendus à l’agriculture. Il rejoint une longue lignée de toques blanches à l’avoir reçue : David Bouley, Roland Passot, Jacques Pépin... « Je n’aurais jamais pensé obtenir quelque chose d’aussi beau. Je suis très content, fier et honoré de savoir que quelqu’un ait pensé à moi », raconte-t-il entre deux services.
Discret, les lunettes constamment posées sur le crâne, cet « autre Éric » du Bernardin n’est pas du genre à chercher la lumière. Faites une recherche Google sur lui et très peu d’articles feront surface. Et ce n’est pas pour lui déplaire. « Je n’aime pas trop parler. Je travaille et je reste concentré là-dessus », confie-t-il. Avec vingt-sept ans de maison au compteur, il est pourtant indissociable du succès du restaurant étoilé, régulièrement classé parmi les meilleures tables au monde. En tant que chef exécutif, il supervise la cuisine au quotidien et s’assure que les plats envoyés en salle sont à la hauteur de leur réputation. « Je travaille tous les jours. Ma tâche consiste à respecter tout le personnel, vérifier leur travail, goûter tout, du moins les mises en place », raconte-t-il.
« Éric est essentiel au succès du Bernardin, ajoute Éric Ripert. Nous entretenons une solide amitié depuis de nombreuses années et je lui fais confiance à 100 % pour garantir le fonctionnement optimal de la cuisine ».
Né en Martinique en 1968, Éric Gestel a « grandi dans les cuisines de France » métropolitaine. À commencer par celle de la tante chez qui il a habité, en Seine-et-Marne, et qui adorait faire à manger. Par l’intermédiaire de son oncle, employé à la mairie de Paris, il fait la connaissance au début des années 1980 de son futur « mentor », Jacky Freon, le chef qui a représenté (et fait gagner) la France au premier Bocuse d’Or en 1987. Ce dernier le prend sous son aile. Il le place à l’École de Paris des Métiers de la Table et dans des restaurants et hôtels renommés de la capitale, comme le Nova Park et le Lutetia, pour son apprentissage.
C’est ainsi qu’il atterrit dans les années 1980 chez Jamin, l’adresse en vogue d’un jeune chef ambitieux appelé Joël Robuchon. « Je ne savais pas qui il était. J’étais jeune », sourit-il. Il retire de cette expérience intense trois choses importantes pour son avenir : une « discipline » de fer, la recherche permanente de la « perfection » dans l’assiette et son amitié avec Éric Ripert, qu’il rencontre à ce moment-là. « Il était en charge du poisson, moi des sauces ! ». Lorsque les deux Éric partent chacun dans leur côté, au ministère de la Défense puis à Montréal pour Gestel, à Washington puis New York pour Ripert, ils restent en contact.
Le duo se retrouve en 1996 à Chicago. Éric Ripert lui propose alors de venir travailler pour lui au Bernardin comme sous-chef junior (assistant). « Je n’ai pas hésité. Je suis venu pour voir et je suis resté ». Il devient chef exécutif en 2019 après avoir gravi patiemment les rangs.
Entre celui qu’on surnomme « Coco » et son patron, il y a certes des liens professionnels, mais aussi une « connexion » personnelle. « Nous avons une relation de confiance car nous avons connu à peu près le même parcours. Nous avons tous deux évolué dans des restaurants trois étoiles et grandi avec la cuisine française. Nous comprenons d’où vient la perfection, dit-il. Par exemple, quand on goûte les sauces, on a parfois les mêmes réflexions sans se parler ! ». Il est là, le secret du Bernardin.