« Je suis toujours coincée ici à San Francisco. » Comme beaucoup de Français, Laura risque de ne pas pouvoir revenir aux États-Unis si elle décidait de retourner dans l’Hexagone, malgré l’annonce de la levée du travel ban. La raison est aussi simple qu’absurde : il lui faudrait repasser par un poste consulaire pour mettre son visa dans son passeport, or les délais pour obtenir un rendez-vous à Paris sont toujours interminables.
« Il n’y a aucun rendez-vous disponible d’ici à fin mars 2022, et le nombre de créneaux libres se comptent sur les doigts d’une main jusqu’en mai 2022 », confirme l’avocate spécialisée en immigration Claire Degerin, en consultant le calendrier des rendez-vous à l’ambassade américaine du 8e arrondissement. Vincent qui vit sur la côte Est depuis 5 ans en fait les frais : « J’ai enfin obtenu un rendez-vous à l’ambassade à Paris… à l’été 2022. Je n’ai pas vu ma famille depuis 2 ans. Je vais encore rater Noël ».
Des mesures administratives permettent aux détenteurs de visas à qui il manque le tampon sur le passeport de continuer à travailler et à vivre sur le sol américain, à condition de ne pas quitter le territoire. Les extensions de i94, un formulaire délivré par l’USCIS (Services de Citoyenneté et d’Immigration américains) et les changements de statut sont devenus la norme, d’après l’experte en immigration. Une situation complexe que vit notamment Claire, arrivée en visa L2 à Boston juste avant la pandémie. « On peut légalement rester ici et, tant qu’il n’y a pas d’urgence à rentrer en France, on ne le prend pas trop mal. Mais le jour où il y aura un pépin, où il faudra rendre visite à des proches, on sera très embêté parce qu’on ne pourra pas revenir ».
Difficulté supplémentaire, « depuis janvier 2021, beaucoup de rendez-vous, qui ne justifient pas d’un critère d’urgence, ont été annulés au dernier moment à Paris de façon arbitraire », souligne Isabelle Marcus, CEO du cabinet Columbus Consulting Group. Anne, en H1B à San Francisco depuis octobre 2020, en a fait l’amère expérience plusieurs fois. « L’an dernier, j’ai voulu rentrer en France parce que des membres de ma famille étaient gravement malades. Il y a même eu des décès… mais je n’ai pas pu », raconte-t-elle. « Alors en 2021, quand quelqu’un d’autre de ma famille est tombé malade, j’ai décidé d’y aller. J’ai pris rendez-vous en janvier pour le 25 mai. Au mois d’avril, il est annulé. Je fais alors une demande de rendez-vous d’urgence qui est refusée. »
Anne n’avait sans doute pas le bon critère pour motiver sa demande d’urgence. « Le fait d’avoir un proche malade ou un décès dans la famille ne fonctionne que si cela survient sur le territoire américain, pas en France » , précise-t-elle. « J’ai finalement repris un rendez-vous pour octobre. N’y tenant plus, je suis partie fin juillet en prenant le risque que mon rendez-vous soit annulé. Évidemment, c’est ce qu’il s’est passé. Sauf que, cette fois, je suis en France donc, soit je réussis à reprendre un rendez-vous en urgence et à faire tamponner mon passeport, soit je dois faire une croix sur ma vie aux États-Unis. » Bonne nouvelle : la jeune Française, soutenue par son entreprise, vient d’avoir une réponse positive.
Autre solution : tenter d’obtenir le précieux tampon par une autre ambassade américaine que celle de Paris. Vincent tente sa chance sans trop y croire, quitte à tirer un trait sur son rêve américain. « En désespoir de cause, j’ai pris un autre rendez-vous dans une ambassade européenne pour fin novembre, en repayant des frais. Je pense qu’il sera annulé. Ma hantise serait qu’ils annulent pendant que je suis sur le sol européen et que je reste coincé en France pour au moins 7 ou 8 mois. Je sais que c’est périlleux mais je n’en peux plus. S’ils me mettent dans cette situation, alors je quitterai les États-Unis. Si ce pays ne veut pas de moi, j’irai travailler ailleurs. »
Laura aussi est à bout. « C’est vraiment dur cette situation parce que ça fait presque 3 ans que je n’ai pas revu ma famille. Depuis, mon frère a eu une petite fille qui a un an et demi et j’ai eu mon fils qui va bientôt avoir deux ans. Mes parents et grands-parents ne pourront pas faire le voyage pour venir aux États-Unis, ils n’en ont pas l’énergie. On avait l’habitude d’aller les voir tous les ans mais là, on est coincés. Ça sépare les familles », déplore-t-elle.
La plupart des avocats recommandent d’éviter toute prise de risque. Chaque ambassade peut décider d’autoriser ou non les non-nationaux et non-résidents à faire leurs démarches consulaires, mais aussi de changer de politique. « Les gens courent après les ambassades américaines partout dans le monde », remarque Claire Degerin. « J’ai des clients qui ont fait tamponner leurs H1B en Roumanie mais c’est contraignant et aléatoire ».
Après avoir vu leurs rendez-vous annulés à Paris, Magali Zecri et sa famille ont frappé aux portes des ambassades américaines au Panama et aux Bermudes, et ont finalement réussi à renouveler leurs visas L en Belgique. « On a récupéré nos passeports pour retourner à New York une semaine après, avec les visas et les NIE. » Expérience similaire pour Audrey Ruel et son époux, qui vivent à Columbus dans l’Indiana. « Les avocats de l’entreprise de mon mari étaient au courant de la démarche », explique-t-elle. « Ce qui les a convaincus de nous laisser aller à Bruxelles, c’est que, sans cela, mon mari aurait été dans l’impossibilité d’effectuer des déplacements professionnels. »
Quant à savoir si les postes consulaires vont pouvoir reprendre un service normal et résorber l’arriéré des dossiers à traiter, « personne ne sait ». « On attend toujours le texte officiel sur la levée du travel ban », rappelle Isabelle Marcus. Pour les spécialistes en immigration, un seul espoir : que l’administration américaine donne enfin les moyens nécessaires aux officiers consulaires de faire leur travail efficacement et leur communique « des directives précises ».
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