Quand Jean Mirvil était adolescent, sa mère lui a acheté un blouson. Le même jour, le jeune homme l’a placé dans son casier à l’école, en pensant naturellement le retrouver à son retour. Sa déception fut énorme quand il remarqua qu’on lui avait volé. Il n’avait pas compris qu’un cadenas était nécessaire pour le sécuriser.
Plusieurs décennies plus tard, dans son bureau empli de cartons au premier étage de PS73, Jean Mirvil parle de cette anecdote comme l’une des nombreuses expériences qui ont forgé sa carrière d’éducateur au service des migrants.
Natif de Port-au-Prince, Jean Mirvil a découvert New York il y a 42 ans. Le paysage scolaire avait des allures de Far West pour les immigrés: langues étrangères peu enseignées, écoles internationales quasi-inexistantes, absence d’accompagnement des non-anglophones dans les établissements. Il supporte mal le cloisonnement intellectuel de son nouvel environnement: « Il y avait un manque d’intérêt pour les choses mondiales. Je n’ai jamais vraiment accepté le modèle que je voyais ». Il s’échappe en parlant créole à la maison avec ses parents, et se raccroche au français en dehors. Ainsi se lie-t-il d’amitié avec une conseillère d’orientation francophone du lycée qu’il fréquente, la Brandeis High School dans l’Upper West Side, et donne, le samedi, deux heures de cours de français à un jeune Américain. « Je me suis créé un monde francophone».
Tour à tour professeur de français, d’ESL (English as a Second Language), assistant du superintendant en charge des langues et de l’immigration dans le Queens et directeur d’établissements dans le Bronx, il accompagne les francophones dans leur intégration new-yorkaise. « J’ai constaté un grand nombre de parents africains francophones dans le Bronx quand je me promenais. Je me demandais: ‘Y a-t-il un moyen de répondre aux besoins de ce gens-là? ».
En 2007, Jean Mirvil prend les rênes de PS73, une école primaire à quelques pas de Yankee Stadium. L’école est moribonde, il la transforme. Il commence par faire du pied à la communauté francophone locale, essentiellement malienne. « Je leur ai dit que le directeur de PS73 parlait français. Il fallait faire de la pub ». Face aux retours favorables, et avec l’aide de l’Ambassade de France, le programme bilingue voit le jour. «L’école est devenue un centre où l’on est capable de répondre aux besoins de tout le monde. Même les immigrés non-francophones viennent nous voir pour savoir si on peut les aider».
Trois ans plus tard, le programme s’est épanoui. Il a résisté à l’ouverture en 2010 de NYFACS, à Harlem, compte trois enseignants et proposera à la rentrée un 4th Grade. Aux parents qui lui demandent si le programme va perdurer sous la nouvelle directrice, il répond par l’affirmative. « Si vous en doutez, demandez lui de le garder ! », leur glisse-t-il.
M. Mirvil a lui aussi gagné en crédit. En 2010, l’ouverture du programme bilingue a valu au directeur les Palmes académiques, une distinction accordée aux éducateurs exceptionnels. Sa sérénité – un trait de caractère que lui reconnaissent volontiers ceux qui le côtoient – explique en partie sa réussite. « C’est propre aux Mirvil, s’amuse-t-il. Ce sont des gens qui aiment bien aider. S’il y a dix personnes dans ce bâtiment qui ont besoin d’aide, ils vont venir me chercher. Il ne faut pas intimider pour aider, mais s’ouvrir».
Après « 28 ans et neuf mois » dans l’enseignement, M. Mirvil part donc à la retraite, dans son pays d’origine, Haïti. « Comme mon papa », venu aux Etats-Unis et reparti chez lui. La sienne sera active. A la rentrée, il prendra la direction d’une école pilote multilingue à Cap-Haïtien, dans le nord du pays, tablant sur son expérience dans le système new-yorkais. « Ces temps-ci, ce coin du monde a besoin d’aide, pas seulement financière. Il y a beaucoup de travail à faire sur le plan de l’éducation, confie-t-il. Comment se vanter et dire : ‘Je sais faire cela’ et ne rien faire pour aider les siens ? Je ne fais pas partie du groupe des gens qui critiquent sans rien faire ». Il le prouve une fois de plus.