Quand le spectateur découvre “Little Girl” (“Petite fille”), le dernier documentaire de Sébastien Lifshitz, il est souvent surpris, questionné et toujours ému. Ce schéma risque de se répéter aux Etats-Unis : le film sera projeté dans les salles obscures de Los Angeles (Royal) et de New York (Film Forum) à partir du vendredi 17 septembre, avant une diffusion nationale.
Ce film aborde avec beaucoup de sensibilité le combat de la famille de Sacha, 7 ans, né garçon mais se sentant depuis toujours fille, face aux institutions pour la reconnaissance de sa dysphorie de genre. L’aspiration transgenre de Sacha se heurte notamment à la rigidité de l’école et de ses représentants, qui refusent de reconnaître Sacha comme une fille sans une “preuve médicale”.
Le réalisateur français et son équipe ont suivi cette cellule familiale (les parents de Sacha et ses trois frères et soeurs) durant un an. “Nous y allions de manière épisodique, souvent sur une journée pour ne pas trop perturber les enfants et que ça reste très naturel”, explique le cinéaste qui explore la question de l’identité de genre depuis 20 ans. “Nous avons été acceptés par la famille qui nous a intégrés dans son quotidien. Il y avait un sentiment de grâce inouïe, d’une générosité, d’un abandon de leur part…” Et le rendu est à cette image : naturel, hypnotique et vrai, tellement la caméra semble être invisible dans les moments intimes et sensibles.
Sans idées préconçues pour ce film, ni récit, le cinéaste nous explique qu’il voulait d’abord montrer “comment la transidentité peut survenir à un âge extrêmement jeune, et que ce n’est pas forcément lié à la découverte de la sexualité et à l’adolescence”. “C’est quelque chose que j’ai appris lors de ma rencontre avec Bambi – à qui il a dédié un autre documentaire”, rappelle Sébastien Lifshitz, également auteur des “Invisibles”, sur des homosexuels âgés, qui a reçu le César du documentaire en 2013.
Il se met alors à la recherche d’une histoire, contactant les écoles et les associations en vain. Finalement, il rencontre cette famille, dont la générosité et l’amour sautent aux yeux, sur un forum Internet où échangent les parents parfois paniqués, perdus et esseulés face aux démarches pour la reconnaissance de leur enfant transgenre. Karine, la mère de Sacha, accepte la proposition du réalisateur : “c’était miraculeux”, avoue-t-il.
Une histoire particulière avec les Etats-Unis
Les questions de l’identité et notamment sexuelle sont omniprésentes dans la filmographie du réalisateur, comme le sujet des personnages en construction et la recherche de liberté. “L’homosexualité, comme la transidentité, ont été si longtemps invisibilisées dans les arts, il a fallu du courage pour les rendre visibles et raconter les mémoires de ses vies”, explique-t-il.
Il est d’autant plus heureux de rendre visible ce documentaire à travers le monde. “Quand le film voyage, il questionne l’identité et j’espère qu’il permettra de nourrir le débat sur les sujets queers aux Etats-Unis”, ambitionne Sébastien Lifshitz qui trouve le sujet “universel”. Cela pourra être l’occasion d’aborder les droits des personnes transgenres dans le pays et leurs évolutions. En juin 2020, la Cour suprême américaine a validé définitivement l’interdiction pour un employeur de licencier un salarié sur des critères d’orientation ou d’identité sexuelle. Mais plus récemment, les droits des personnes transgenres ont été fortement attaqués dans plusieurs Etats républicains.
Le film a déjà été présenté au public américain en ouverture du Rendez-Vous with French Cinema à New York en 2021, pour lequel le cinéaste s’est prêté à un Q&A “virtuel”. “Les spectateurs développent une telle empathie pour Sacha qu’ils me demandaient de ses nouvelles, une extension du film”, raconte-t-il très ému. Et il se prête volontiers au jeu, ayant gardé contact avec la famille : la petite fille, qui a désormais 11 ans, “s’épanouit, semble apaisée et assurée dans son choix”.
Outre l’ouverture du débat et la relation avec l’audience, cette sortie américaine n’est pas anodine pour Sébastien Lifshitz. “J’ai une relation très forte avec les Etats-Unis qui me passionnent.” Son histoire avec le pays s’est accélérée en 2001, quand il y a accompagné son meilleur ami qui recherchait son père, un ancien G.I. (soldat de l’armée américaine pendant la deuxième guerre mondiale). Ce parcours de quatre mois à travers les US, il en a fait un film intitulé “La traversée”. “Ce fut une expérience de cinéma et humaine qui me laissera une empreinte indélébile.”
Vingt ans plus tard, il revient tourner un documentaire sur le sol américain. “Il se déroulera à New York et dans les montagnes Catskills”, précise-t-il, ne voulant pas dévoiler la trame du documentaire, mais lâchant que c’est “une histoire folle qui se passe dans les années 60, liée à la culture queer, et dont on a récemment retrouvé la trace.”