Le NYT du 1er janvier 2007 me donne la chair de poule.
La quadruple page de portraits de soldats tombés en Irak rappelle le quotidien des jours suivant le 11 septembre 2001. Lorsque NY était ni plus ni moins qu’une ville en guerre. « 3000 morts en Irak ; larmes innombrables au pays » clame la une. Le texte n’omet pas de citer, en page 9, les estimations des victimes civiles irakiennes :
De 150 000 pour le Ministère de la Santé irakien à 600 000 pour l’université Johns Hopkins, de mars 2003 a juillet 2006…
Dans ce contexte désastreux le lecteur a besoin de héros. Pour la nouvelle année il voudrait entamer un rapport positif avec son quotidien. L’actualité, soudaine bonne fille, le lui fournit 2 jours plus tard. Voila Wesley Autrey ! On le rencontre dans un petit papier d’a peine deux feuillets, en bas de la première page. La légende et la photo le présentent comme un homme noir de 50 ans. Il porte un bonnet de ski bleu ciel. La une est consacrée aux funérailles de Gerald Ford. Des costumes noirs de présidents convergent vers sa veuve. Mais après avoir vu l’histoire on ne pense qu’à ce bonnet bleu et à l’ouvrier qui le porte. Wesley Autrey, vétéran de la Navy, accompagne ses deux filles de 4 et 6 ans, avant de rejoindre son chantier de construction. Devant eux s’écroule Cameron Hollopeter, 20 ans, étudiant à la NY Film Academy, victime d’une attaque d’épilepsie (seizure). Ni une ni deux le “subway hero “ se précipite, plaque le jeune homme sous les rails et laisse passer les rames au-dessus de lui, en criant a son protégé :“ne bouge pas sinon on y passe tous les deux !”…
Lorsque le train s’arrête, tout le monde crie, s’exclame, dont deux femmes, elles aussi venues a la rescousse. Autrey braille a son tour: “Nous sommes vivants , indemnes . Occupez-vous de mes petites ; dites-leur que leur père est ok “…
J’adore l’histoire vraie, pas encore transformée en scénario. Je la répète, bien que tout le monde l’ait lue, car illico, ce matin-la, comme aujourd’hui, elle m’inspire. On respire mieux après l’avoir entendue. On la raconte aux gamins tout juste réveillés. Et tout le monde, jeunes et vieux, de s’étonner. Autrey répond à la vraie définition du “héros”. Celui qui renforce les valeurs du groupe. Le groupe en pleine adoration du Veau d’or , du Wii , et du Bling Bling… Le gars nous rappelle tout simplement ce qu’il y a de plus noble dans une culture. Le sacrifice de soi pour le bien commun. La presse pop ne s’y est pas trompée qui encense le “héros du metro”. AM le gratuit a même un encadre formidable, très explicite, sur comment éviter une rame lorsqu’on est tombe sur les rails !
Plus tard , lorsque le maire de NY lui offre la médaille de bronze de la Ville (et des voyages a Disneyland pour les filles, et une carte gratuite du MTA, et des milliers de dollars du milliardaire Trump…) Autrey évoque tout simplement les jeunes soldats en Irak, “les vrais héros “… il ajoute simplement “quand vous faites des bonnes choses , il vous arrive de bonnes choses “…
Il suffit d’y croire, de bonne foi ! Le patron d’Autrey lui a laisse conge le jour de l’exploit et, le lendemain, au lunch lui a tendu un énorme sandwich “Hero”…
L’anti-héros de la semaine est le PDG de Home Depot, Robert Nardelli, auquel on offre un “parachute en or” de 210 millions de $ pour quitter la compagnie, après de mauvais résultats face au concurrent Lowe’s. A ces hauteurs astronomiques les chiffres n’ont plus grand sens. Même pour le piéton de NY habitue aux gratte-ciels !
Le chanteur George Michael a perçu 3Millions de $ pour une fête de nouvel an a Moscou, qu’il a rejointe en jet prive depuis Londres, avant de revenir 3heures trente et une heure de performance plus tard.
Pour mémoire on construit a NY pour 20 Milliards de condos pour jeunes financiers et les tableaux de la jeune garde des peintres chinois, inconnus il y a peu, se négocie autour du million de dollars chez Sotheby’s et Christie’s.
L’ascenseur social NYorkais monte à toute allure, mais l’argent ne pervertit-il pas l’équilibre socio-économique ici, comme dans les grandes villes de Londres, Tokyo, Paris ?
La semaine dernière se discutaient les bonus (colossaux) des financiers, cette semaine un éditorial de David Brooks du NYTimes s’en prend aux ploutocrates de la politique américaine.
Il y a-t-il une différence entre la milliardaire Nancy Pelosi , à la tête du Congrès, qui parle de salaire minimal et de contrôle des puissants lobbies de Washington et Bush qui minore l’impôt des puissants et enrichit encore les compagnies pétrolières ? Les lecteurs répondent “oui” dans le courrier du lendemain.
Le même jour, surenchère de héros. Cela nous fait oublier le débat milliardaires démocrates/milliardaires républicains. On apprend qu’en même temps qu’Autrey, dans le Bronx, deux copains Julio Gonzalez, 43 ans, et Pedro Navarez, 40 ans , ont sauvé un enfant de 3 ans, en train de sauter d’un immeuble en flammes.
Pourquoi tant de héros (mot grec) traversent-ils soudain notre Tohu Bohu (mot hébreu compose du mot “chaos informel”-Tohu et de “vide “-Bohu)? Personne ne s’en plaindra.
Je me pose la question, lorsque passe à toute vitesse, devant nous, sur un trottoir de Washington Square une des héroïnes de notre quartier ! Une jeune femme tirée a quatre épingles, souvent avec son gamin a frimousse d’ange sur les genoux, qui, handicapée à vie, circule sur une pimpante chaise roulante électrique. Cette fois-ci elle est seule. Elle parle dans son cellulaire, roule trop vite, car deux teckels, vifs comme des virgules, courent à toutes pattes derrière elle, sans arriver à rattraper le rythme. Même les héros ont des moments d’inattention !
Cela me rappelle le bonnet d’Autrey . Lorsqu’il relève la tête, le bleu ciel a la trace du cambouis de la rame au-dessus de lui. Lorsqu’on l’a interrogé, Autrey a demandé qu’on creuse des fosses de drainage juste un peu plus profondes, sous les rails… Mon crayon boiteux se sent soudain un courage d’Afro Samourai, vous savez, le nouveau “héros” sur Spyke TV !….