Pendant des années, Fabrice Jaumont a coaché les parents, francophones et autres, à faire une “révolution bilingue” dans les écoles publiques new-yorkaises. Aujourd’hui, il sort un livre sur ces expériences. Il le présentera le mercredi 6 septembre à la librairie Albertine et le vendredi 8 à la galerie Invisible Dog à New York.
Dans The Bilingual Revolution: The Future of Education is in Two Languages (TBR Books), l’attaché éducatif et linguistique aux Services culturels de l’Ambassade de France à New York raconte les efforts de parents issus de différentes communautés (Russes, Italiens, Arabes, Espagnols, Polonais, Français notamment) pour développer des programmes bilingues dans la ville. Un ouvrage qui, espère-t-il, servira de déclic à ceux qui veulent s’impliquer. “On sous-estime l’impact des parents motivés, dit-il. Il y a énormément d’endroits où rien ne se passe autour de l’éducation bilingue. Les initiatives pourraient se démultiplier si les parents comprenaient qu’ils sont capables de monter des programmes et si on leur donnait la recette pour le faire. Ce livre dit: vous en êtes capables, vous devez vous former et vous informer sur ce qui c’est bien passé et mal passé“.
Le livre sort sur fond de multiplication aux Etats-Unis de ces programmes qui conjuguent enseignements en anglais et dans une langue étrangère dans des classes composés d’anglophones et de non-anglophones. Le Département de l’Education de New York, qui veut développer cette offre dans ses écoles, a annoncé en février l’ouverture de 39 programmes d’immersion à la rentrée de septembre, dont un en ourdou.
On dénombre dix programmes publics français-anglais à New York. Fabrice Jaumont a été l’un des principaux moteurs derrière ce développement. “Beaucoup de parents étrangers font le choix de ne parler qu’anglais à leurs enfants à la maison parce qu’ils ont eux même fait l’objet de discriminations, alors que si on donne aux jeunes la possibilité de grandir avec la langue de leurs racines, on en fera des individus plus équilibrés et plus intelligents, si l’on en croit les études. Pourquoi s’en priver ?”
Manque de motivation, administration “sourde“, écoles non-intéressées: son livre ne cache rien des obstacles auxquels sont confrontés certaines communautés. Il raconte notamment le combat judiciaire de parents russes pour préserver un programme menacé de fermeture par une nouvelle directrice. Ou encore l’échec d’un programme arabe après des réactions hostiles de la part de la presse et de groupes d’activistes, quelques années après le 11-Septembre.
Heureusement, les “success stories” sont nombreuses, à l’image du premier programme bilingue japonais de Brooklyn lancé en 2015 grâce à la détermination de cinq mamans asiatiques (une Sino-américaine, une Taïwanaise, une Coréenne et deux Japonaises). “Chaque communauté a son histoire, ses a priori, ses défis. Il y a des points communs mais la leçon du livre, c’est de trouver sa formule“.
Les francophones, dit-il, peuvent mieux faire. Selon lui, 22.000 enfants parlent français à la maison, “assez pour remplir plus de 50 programmes bilingues“. “La majorité des francophones à New York sont dans le Bronx ou au fin fond de Queens. Ils n’ont pas la même capacité à organiser des mouvements, monter des campagnes et des réunions. Ils ont vraiment besoin d’aide“, explique l’attaché.
Depuis que Fabrice Jaumont a découvert les programmes d’immersion en 1997 comme attaché linguistique à Boston, l’éducation bilingue a fortement progressé aux Etats-Unis, malgré les oppositions. Il cite notamment les ouvertures de programmes dans le Delaware et “de manière industrielle” en Utah. “Ce n’est pas uniquement pour les Mormons. Sans programmes bilingues, leur système éducatif chuterait et leur économie mourrait. Plus aucune entreprise ne voudrait venir. J’ai entendu le même argument dans le Delaware où les entreprises ne trouvaient pas la main d’oeuvre multilingue qu’elles voulaient“.
Et pour que le mouvement se poursuive, il a inclus dans le livre une série d’étapes à suivre pour les parents qui veulent se lancer dans le grand bain. “Il faut que les parents s’impliquent, qu’on les écoute, surtout dans les grandes machines institutionnelles. Même dans les pays où les parents ne sont pas acteurs du système éducatif, la culture va changer, affirme-t-il. L’avenir de l’éducation est bilingue“.