À 57 ans, Laurent Vrignaud vit son rêve américain. Silhouette sportive, sweat et jean, regard perçant, le patron de Moulin nous accueille au sein de son établissement de Newport Beach, dans le comté d’Orange. Ce vendredi 9 décembre, à l’heure du déjeuner, les clients dégustent un sandwich jambon-beurre, une salade niçoise ou des pâtisseries au soleil, sur une terrasse aux parasols rouges. Au fond, un attroupement s’est formé autour de l’écran qui diffuse en direct le match Argentine-Pays-Bas de la coupe du monde de football.
« J’ai grandi à Montmartre, dans le 18e arrondissement de Paris, raconte Laurent Vrignaud, attablé devant un Perrier. À 14-15 ans, on séchait les cours et on s’asseyait au café pour draguer les filles et jouer au flipper. Le patron du café, c’était le papa du quartier. Maintenant, c’est moi le papa du quartier ! » À l’entendre évoquer ses souvenirs d’enfance, on pourrait le prendre un peu vite pour un rêveur. L’homme a pourtant les pieds bien sur terre. Depuis qu’il est arrivé en Californie sans le bac, il y a bientôt 40 ans, il a réalisé son rêve de gosse, à force de travail acharné.
Depuis 2014, son rêve s’appelle Moulin. En huit ans, ce self-made man a ouvert six cafés sous cette marque, à Newport Beach, Laguna Beach, San Clemente, Dana Point, Costa Mesa et South Coast Plaza, le centre commercial chic de Costa Mesa. Les clients s’y pressent pour acheter des baguettes, pâtisseries, viennoiseries, déguster des sandwichs, des crêpes ou des plats emblématiques de la cuisine de bistrot française (y compris le céleri rémoulade !), le tout à un prix abordable. « Moulin, c’est un peu Paris en Californie », aime-t-il répéter. Son dernier projet est le restaurant Bouillon, ouvert en 2021 sur le site de Newport Beach.
Parti de zéro, Laurent Vrignaud est aujourd’hui à la tête d’une entreprise de 200 personnes. Et ce marathonien ne compte pas s’arrêter là. Une boulangerie ouvrira fin janvier à quelques pas de son premier café de Newport Beach. Le vaste local est encore en travaux, mais le Français se projette déjà. « Ici, il y aura un immense comptoir en bois avec toutes les viennoiseries. Et là, un énorme pétrin », s’enthousiasme-t-il. Chaque détail a été soigné. Les clients pourront apercevoir les boulangers réaliser le pain, de l’autre côté du comptoir. Une ancienne horloge en émail chinée à Saint-Etienne ornera les lieux. « Les gens vont halluciner en voyant la déco », se félicite le patron, des étoiles plein les yeux.
Beau parcours pour quelqu’un qui ne vient pas de la restauration. Car Laurent Vrignaud a eu une première vie avant Moulin. En 1983, à 18 ans, le jeune homme suit son père dans la région de San Francisco avec une idée en tête : surfer. Il commence à travailler en vendant des équipements de surf puis de snowboard. Il crée ensuite son entreprise de vente d’articles de sports de glisse et sa carrière explose. « J’ai eu la chance de pouvoir m’arrêter jeune », confie-t-il. À 50 ans, il a d’autres projets. Après avoir voyagé trois ans avec sa femme et sa fille, il se lance dans l’aventure de Moulin.
Très vite, la clientèle américaine est conquise. « Ce qui leur plaît, c’est qu’ils vivent une expérience. On fait de la bonne bouffe, mais on a été plus loin », décrypte le maître des lieux. Plus loin dans la recherche d’authenticité (le jambon de Paris est fait maison), plus loin dans le business. « En Californie, il faut s’investir corps et âme et question financière, tu ne peux pas faire les choses à moitié. Les Américains ne sont pas intéressés par une petite histoire », assène Laurent Vrignaud, droit au but.
À Newport Beach, en plus de la partie boulangerie et café, l’enseigne propose de nombreux produits d’épicerie français difficiles à trouver ailleurs (charcuterie, fromages, biscuits, confiseries…) et des vins. Des produits mis en valeur par une décoration vintage made by Laurent Vrignaud. Passionné d’antiquités (sa mère était antiquaire), il écume les brocantes de l’Hexagone plusieurs fois par an avec sa camionnette pour dénicher des meubles qu’il fait venir par conteneur pour habiller ses cafés.
Cet amour pour les beaux objets l’a même conduit à vendre des chaises en rotin de la Maison Gatti, qui seront bientôt exposées dans un local plus grand, à côté de la nouvelle boulangerie de Newport Beach. Expérience intime de retour à ses racines parisiennes, Moulin n’en reste pas moins, pour Laurent Vrignaud, une aventure collective : « Le secret pour réussir, reconnaît-il, c’est de s’entourer de gens bien. »