Laurent Vernhes donne rendez-vous dans un bar à vins de Brooklyn – logique pour un œnophile qui vient de lancer un abonnement à une sélection de vins de petits producteurs européens. L’entrepreneur français a fait de la sélection et de l’éditorialisation de produits de qualité son métier. Car avant de se lancer dans le vin avec sa startup MVA.wine, il a monté Tablethotels.com, un site mondial de recommandations de boutique hôtels racheté par Michelin en 2018.
Laurent Vernhes commence sa carrière en Asie, chez News Corp, groupe de la famille Murdoch. Sa mission : repérer les startup « pépites » que le magnat australien des médias pourra engloutir. « Je côtoie des gens exceptionnels, des entrepreneurs chinois experts en négociation avec un contrôle incroyable sur leurs opérations, qui ne perdent pas leur temps et leur énergie à négocier des contrats interminables, mais qui savent exactement où est le pouvoir, et surtout que tout est renégociable » se souvient-il. Assez vite, il décide que c’est ça qu’il veut faire, plutôt que de se battre dans « les tranchées » de News Corp. Après un passage rapide dans une agence du web où il apprend comment fonctionne Internet, il débauche l’un des directeurs artistiques de l’agence, lève de l’argent auprès de business angels et démarre Tablethotels.com… juste avant que n’éclate la bulle Internet, en 2000.
Au cœur de la crise, impossible de lever de l’argent car les venture-capital companies sont plus frileuses que jamais. « Je refuse une offre à la casse et licencie toute l’équipe, y compris les fondateurs, poursuit Laurent Vernhes. Toujours pas rémunéré, je continue à travailler de chez moi, avec le support, quand ils en ont le temps, de mon co-fondateur et d’un ingénieur. Mes économies d’expat fondent comme neige au soleil. » Tablet Hotels passe en mode survie. L’objectif pour l’entrepreneur : durer grâce à ses revenus, puisque les financements extérieurs sont impossibles. Pendant deux ans, l’entreprise reconvertit sa technologie, conçue pour vendre des chambres d’hôtel directement aux particuliers en outil de réservation utilisé en interne par les boutique hôtels.
En 2002, Tablet Hotels tente à nouveau l’aventure B2C. « Nous avions trouvé le moyen d’offrir en temps réel des chambres à nos clients dans les hôtels de notre sélection sans demander aux hôtels leur autorisation préalable. Les hôtels ne savaient pas vraiment d’où venaient les réservations, mais ils étaient bien contents de les recevoir. Notre challenge principal était de nous faire payer nos commissions ! » relate Laurent Vernhes. Reste à acquérir des clients. Tablet Hotels sera l’un des tout premiers à faire du keyword bidding (achat de mots-clés sur les moteurs de recherche). À l’époque, Google n’a pas encore découvert le potentiel de cette nouvelle forme de publicité, et c’est Goto.com, renommé ensuite Overture, qui est le leader du marché. Overture sera racheté par Yahoo en 2003, date à laquelle Google se lance à son tour dans l’aventure, avec le succès qu’on connaît. « Nous sommes l’un des premiers clients d’Adwords et l’un des plus gros clients de Google pendant quelques mois – et ça marche : notre croissance explose. »
Mais la concurrence est sévère dans le marché des moteurs de réservation d’hôtels : il se consolide et la poignée d’acteurs restés en lice se fait une concurrence impitoyable sur les prix. « C’est à qui aura la meilleure technologie pour offrir le meilleur prix à un instant donné à telle ou telle niche d’audience, à l’insu de ses concurrents. Les investissements en technologie sont très importants, et ceux qui ne tiennent pas la route s’effondrent. » Dans cet univers de guerre des prix infernale, à laquelle son entreprise doit dédier 90% de ses investissements en tech, il devient de plus en plus difficile d’innover. Deux solutions s’offrent alors : lever du growth capital pour investir massivement dans leur technologie, ou s’adosser à un grand groupe aux reins solides. C’est la deuxième solution qui aura gain de cause, et Tablet rejoint en 2018 le groupe Michelin. Laurent Vernhes y restera deux ans.
L’aventure Tablet Hotels derrière lui, l’entrepreneur décide de se lancer dans l’œnologie, hommage peut-être à son grand-père aveyronnais, ancien vigneron. Il commence par lancer un champagne sous son label Maison Vernhes, puis décide de lancer MVA.wine, un abonnement à des sélections de bouteilles triées sur le volet chez des petits producteurs européens. « Les petits producteurs viticoles sont de véritables artistes, et comme chez les artistes, il y en a des bons et des moins bons. Mais dans tous les cas, ce qu’ils produisent n’a rien à voir avec les productions industrielles, bourrées d’additifs qui dénaturent complètement le vin », se félicite Laurent Vernhes.
Ses collections de six vins, sélectionnés tous les trois mois dans sa belle demeure toscane par une fine équipe de connaisseurs (vignerons, lauréats des sélections précédentes, chefs), s’adressent à des gens « curieux qui aiment les vins complexes et élégants », sensiblement différents des standards de goût américains. « Une majorité d’Américains aiment les rouges très fruités et très tanniques, véritables “fruit bombs”, et les Chardonnays tellement boisés qu’on a l’impression de boire du chêne, donc les importateurs américains importent surtout des vins qui s’en rapprochent », constate-t-il.
Après avoir sélectionné les plus beaux boutique hôtels de par le monde, Laurent Vernhes s’est donné pour mission de dénicher les meilleurs vins. Des vins de petits producteurs, français et italiens pour commencer, et bientôt hongrois, autrichiens, portugais, voire peut-être argentins. Une nouvelle aventure pour ce globe-trotteur dénicheur de pépites.